La question de savoir si l’indemnité de « funding loss » compensant la perte de rendement du prêteur respecte l’article 1907bis est une variation du thème classique du iustum pretium débattu depuis le Moyen-Age. Quel principe juridique doit se voir réservé la priorité ? Celui du pacta sunt servanda (la clause de funding loss) ou celui du iustum pretium (prétendument 6 mois d’intérêt) ?
En termes économiques, à qui revient-il d’assumer le risque de réinvestissement (les conséquences financières d’un remboursement anticipé) ? L’emprunteur (qui prend l’initiative du remboursement) ou le prêteur et, par répercussion, sa clientèle ?
Comme nous l’avons vu, la question de savoir si l’indemnité de remploi convenue contractuellement est juste ou non, ne peut trouver réponse pour un crédit isolé. Il n’est cependant pas contestable que la banque souffre d’un dommage en cas de remboursement anticipé.
Si le funding de la banque est mis à mal du fait du remboursement anticipé, la banque ne recevra qu’une indemnité de funding loss qui pourrait couvrir, soit une partie de ses frais, soit une partie de son profit, soit une combinaison des deux. Personne ne peut réellement distinguer les deux notions, puisque l’hypothèse d’une exécution correcte du contrat jusqu’à échéance finale, à la base de la fixation du taux d’intérêt, ne vaut plus.
Il est possible que l’indemnité de funding loss ne couvre finalement pas l’entièreté du dommage subi. Toutefois, il est certain qu’elle ne peut jamais excéder le rendement convenu (les frais et le profit) au moment de la conclusion du contrat.
Ceci étant, l’hypothèse selon laquelle l’indemnité de funding loss couvrirait une partie du profit de la banque est-elle une hérésie ?
Nous ne le pensons pas.
Le « juste prix » est celui convenu au moment de la conclusion du contrat. Si le crédit est remboursé anticipativement et les taux sont baissés, une perte de rendement est inévitable.
Ensuite, le but lucratif du taux d’intérêt ayant été finalement accepté en 1804, il convient d’être cohérent et d’accepter son pendant logique, à savoir le fait que la cessation d’un crédit (et du paiements des intérêts) constitue un dommage pour la banque prenant la forme d’une perte de rendement.
Enfin, il parait logique de faire peser le risque de réinvestissement sur l’emprunteur, puisque ce dernier est à l’initiative du remboursement anticipé. En période de baisse de taux, l’emprunteur individuel est incité à se refinancer. Le gain recherché par l’emprunteur en remboursant anticipativement son crédit causera cependant nécessairement une perte dans le chef de la banque, que cette dernière répercutera inévitablement sur sa clientèle.
L’intérêt de l’emprunteur individuel souhaitant rembourser anticipativement son crédit (niveau microéconomique) se heurte donc à l’intérêt global de l’ensemble des clients d’une banque (niveau macroéconomique). Les autres clients de la banque ont intérêt à ce que leur banque puisse préserver sa liquidité et sa solvabilité au maximum. Ils risquent en outre de se voir confrontés à une augmentation des tarifs bancaires destinée à couvrir (partiellement) le dommage causé par les remboursements anticipés.
Il est dès lors dans l’intérêt général de minimaliser l’incitation pour l’emprunteur individuel de s’en tenir aux termes contractuels et en soumettant un remboursement anticipé à des conséquences financières adéquates.
Est-ce à dire que l’indemnité de funding loss constitue une peine privée ? Certainement pas. Bien que le montant du dommage ne puisse être quantifié pour un crédit isolé sans l’aide de certaines hypothèses raisonnables, son but est exclusivement indemnitaire.
De lege ferenda, au risque d’entrer dans le troisième giron du septième cercle de l’enfer, le législateur belge devrait ne pas oublier la logique sous-jacente à l’indemnité de funding loss : celle de s’assurer que le risque de réinvestissement soit assumé par l’emprunteur, et non par (les clients de) la banque.
A cet égard, la loi relative au financement des PME du 21 décembre 2013 laisse à désirer.
Le droit au remboursement anticipé offert au PME par cette loi a assurément compliqué la tâche du banquier et augmenté le risque couru par les (clients des) banques et a augmenté les risques dans le chef de la société.
L’introduction d’un plafond arbitraire de 6 mois d’intérêts pour limiter les indemnités de funding loss a pour conséquence qu’en cas de baisse de taux, le gain potentiel dans le chef de l’emprunteur se refinançant augmente (l’emprunteur ne doit plus payer l’indemnité de funding loss) tandis que, parallèlement, le coût dans le chef (de la clientèle) de la banque devient également plus important, puisque la banque devra se couvrir à l’égard du risque de réinvestissement.
En période de baisse des taux, un droit au remboursement anticipé pourrait engendrer une spirale : plus le gain potentiel de l’emprunteur est élevé, plus les remboursements anticipés seront nombreux, et plus important sera le coût pour (la clientèle de) la banque en résultant. Un « bank tank », sorte de « bank run » inversé, où tous les clients rembourseraient anticipativement et concomitamment leurs crédits, pourrait entraîner des conséquences tout à fait néfastes pour les banques et pour l’économie en général. Bien que les mesures instaurées par la loi relative au financement des PME puissent paraître équitable à première vue (au niveau microéconomique), elles pourraient entrainer des conséquences perverses (au niveau macroéconomique).
Si le droit au remboursement anticipé est maintenu à l’avenir, il conviendrait d’introduire une formule tenant compte du coût réel causé par le remboursement anticipé en vue de pouvoir responsabiliser l’emprunteur individuel par rapport à ses engagements financiers souscrits à longue durée et d’éviter un exercice excessif du droit de remboursement anticipé. Si un emprunteur décide de faire usage de son droit de remboursement anticipé, il paraît en effet souhaitable (d’un point de vue macroéconomique) qu’il assume, au moins à concurrence d’un certain pourcentage, le coût qui en résulte.