1. Position de la question
La qualification des produits d’investissement fondés sur l’assurance soulève différentes questions relatives au cadre réglementaire applicable aux intermédiaires d’assurance et à la responsabilité des intermédiaires fondée sur le manquement au devoir de conseil, abordées dans un précédent article.
Rappelons que la Cour de justice de l’Union européenne, par son arrêt C-542/16 du 31 mai 2018 statuant sur renvoi préjudiciel, a dit pour droit que « les conseils financiers relatifs au placement d’un capital prodigués dans le cadre d’une intermédiation d’assurance portant sur la conclusion d’un contrat d’assurance-vie en capital relèvent du champ d’application de la directive 2002/92 et non pas de celui de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004 ».
La Cour de justice a ainsi exclu la possibilité pour les conseils en investissement donnés par les intermédiaires en assurance d’être soumis à MiFID, sur la base de l’exemption contenue à l’article 2, 1., c), de MiFID I, suivant lequel MiFID ne s’applique pas « aux personnes qui fournissent un service d’investissement à titre accessoire dans le cadre d’une activité professionnelle, dès lors que celle-ci est régie par des dispositions législatives ou réglementaires ou par un code déontologique qui n’exclut pas la fourniture de ce service »[2].
Par ailleurs, nous avions commenté une décision du Tribunal de première instance francophone de Bruxelles qui mettait en lumière les obligations qui pèsent sur les intermédiaires d’assurance.
Le Tribunal, après avoir rappelé les principes dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne dons son arrêt susmentionné du 31 mai 2018, avait jugé que compte tenu de la nature d’assurance d’un contrat d’assurance vie liée à un fonds de placement, il convient d’apprécier la responsabilité des intermédiaires au regard de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances.
2. Illustration: un produit d’assurance-vie est-il un produit financier ?
L’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 22 octobre 2020[5] nous donne l’opportunité d’approfondir les réflexions sur cette matière.
Cette décision s’inscrit dans le contexte de différents investissements dans des polices d’assurance souscrites dans le courant des années 2000 par des particuliers auprès d’une société de droit irlandais. Les primes versées dans le cadre de ces polices avaient été placées dans différents fonds d’investissement. Ces fonds ont été suspendus en 2009 et en 2011.
Devant le Tribunal de de l’entreprise francophone de Bruxelles, les investisseurs/assurés postulaient la nullité des polices, sur la base d’un vice de consentement, et mettaient en cause la responsabilité précontractuelle ou, à tout le moins, contractuelle de la compagnie d’assurances.
La prescription en droit des assurances est plus courte, même pour une assurance-vie
En matière d’assurance, l’action en nullité se prescrit dans les trois ans qui suivent l’évènement qui donne lieu à l’action, conformément au prescrit de l’article 88, § 1er, de la loi du 4 avril 2014 sur les assurances qui prévoit que le délai de prescription de toute action dérivant du contrat d’assurance est de trois ans.
Le Tribunal avait interrogé la Cour afin de déterminer si l’article 88, §§ 1er et 2, de la loi du 4 avril 2014 sur les assurances ne violait pas les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il prévoit des délais nettement plus courts que les délais pour action en nullité pour défaut de validité du contrat, notamment pour vices de consentement, prévus en droit commun à l’article 1304 du Code civil, ou pour action personnelle (article 2262bis, § 1er, al. 1) ou responsabilité extracontractuelle créant une discrimination injustifiée entre des personnes ayant effectué un placement en un produit d’assurance-vie en branche 23, et une personne ayant effectué un placement dans un instrument financier ou produit d’investissement lié à ou impliquant aussi un fonds sous-jacent à cet instrument ou produit.
Selon les assurés, les catégories précitées devaient être traitées de la même manière, dès lors que leurs situations sont comparables, tant d’un point de vue économique que juridique, notamment en ce qui concerne le risque encouru. Selon eux, c’est d’ailleurs ce qui a justifié l’alignement des régimes applicables aux produits financiers et d’assurance dans le cadre du processus de « mifidisation » du droit des assurances, en droit européen. Le fait que les produits d’assurance soient soumis à un traitement fiscal spécifique ne change rien à ce constat.
La compagnie d’assurance soutenait au contraire qu’un produit d’assurance-vie n’est pas un produit financier. Elle se référait à ce sujet à plusieurs arrêts en ce sens de la Cour de justice de l’Union européenne[6], ainsi qu’à plusieurs jugements de droit belge.
Ainsi, les produits d’assurance liés à des instruments financiers sont des produits d’investissement fondés sur l’assurance, mais ils ne sont pas des instruments financiers régis par la directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 « concernant les marchés d’instruments financiers » (dite « MiFID II »). En outre, le contrat d’assurance-vie se distingue des autres produits financiers par la possibilité, pour l’assuré, de désigner un bénéficiaire autre que lui-même, par la possibilité, pour le preneur, de déduire une partie de la prime, en ce qui concerne les assurances-vie de la branche 23, ainsi que par l’existence d’un aléa, lié à la vie de l’assuré. La différence de traitement est donc raisonnablement justifiée.
La compagnie précisait que les assurances-vie de la branche 23 sont des assurances sur la vie qui sont liées à des fonds d’investissement ou de placement. Elles répondent aux critères de la définition du contrat d’assurance (paiement d’une prime, obligation pour l’assureur de fournir une prestation, notamment en cas de décès de l’assuré ou en cas de survie à un âge déterminé, etc.). Après soustraction des coûts liés aux impôts et à l’éventuelle couverture du décès, les primes sont gérées dans un fonds interne ou externe de l’assureur et sont investies ou placées dans des actions, obligations ou fonds de placement immobilier. En l’occurrence, la prestation d’assurance sur la vie consiste dans le versement d’un montant fixe, le montant assuré dans le cas d’une assurance-vie de la branche 23 étant la valeur des unités dans le fonds d’investissement dans lequel les primes ont été investies.
Les produits sont distincts sur plusieurs plans
Outre les différences déjà évoquées, les deux produits se distinguent sur plusieurs plans et notamment en ce qui concerne l’incidence du décès du titulaire sur le contrat, la nature, réelle ou personnelle, du droit du titulaire au regard du placement, ou encore la transmissibilité des droits. Par ailleurs, les assurances-vie de la branche 23 sont soumises à la directive (UE) 2016/97 du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 « concernant la distribution d’assurance (refonte) » et à la directive MiFID II. Enfin, les mécanismes de prescription en matière d’assurance exposés plus haut s’appliquent aussi aux assurances-vie de la branche 23.
La Cour estime que les personnes ayant effectué un placement dans un produit d’assurance-vie en branche 23 et les personnes ayant effectué un placement dans un instrument financier ou produit d’investissement lié à un fonds sous-jacent à cet instrument se trouvent dans des circonstances objectivement différentes, compte tenu des caractéristiques respectives des produits dans lesquels elles ont investi et de la nature du contrat qu’elles ont conclu à cet effet, à savoir un contrat d’assurance ou un autre contrat.
Des similitudes économiques (lien avec des fonds d’investissement)
La Cour admet que les contrats d’assurance-vie de type branche 23 présentent des similitudes, sur le plan économique, avec les contrats par lesquels un particulier opère un placement dans un instrument financier ou dans un produit d’investissement lié à ou impliquant aussi un fonds sous-jacent à cet instrument ou produit, en ce que, d’une part, ils sont tous les deux liés à des fonds d’investissement ou de placement et en ce que, d’autre part, le particulier supporte seul le risque financier. La Cour continue toutefois en indiquant qu’ils n’en revêtent pas moins les caractéristiques principales du contrat d’assurance, notamment en ce qui concerne la possibilité, pour le preneur, de désigner un bénéficiaire autre que lui-même et l’existence d’un aléa, lié à la vie de l’assuré, et sont soumis, à ce titre, à la réglementation applicable en la matière, outre un régime fiscal avantageux.
La Cour précise que le processus de « mifidisation » du droit des assurances, mené sous l’égide du droit de l’Union européenne, avec la directive (UE) 2016/97 du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances, dont les principes sont inspirés de la MiFID II, n’implique pas que les régimes des assurances-vie de type branche 23 et des instruments financiers ou produits d’investissement liés à ou impliquant aussi un fonds sous-jacent à cet instrument ou produit devraient être complètement alignés, y compris sur le plan de la prescription.
[1] G. LAGUESSE et P. PROESMANS, « Baromètre de jurisprudence en droit bancaire : 2019, DAOR, 2021/1, p. 30.
[2] CJUE, 31 mai 2018, 62016CJ0542, https://eur-lex.europa.eu.
[3] Trib. Civ. Fr. de Bruxelles, 10 mai 2019, inédit, R.G. n° 2016/7635/A.
[4] M.B., 30 avril 2014, p. 35487 ; Précédemment la loi du 27 mars 1995 relative à l’intermédiation en assurances et à la distribution d’assurances, MB, 14 avril 1995, p. 17029.
[5] C. Constit., 22 oct. 2020, 140/2020.
[6] voy. notamment CJUE, 1er mars 2012, C-166/11, Alonso.
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