Portefeuille-titres, ordre de bourse incorrectement exécuté et faute de la banque : comment indemniser le client ?

Cas rencontré : un ordre de vente non-exécuté par la banque

Un investisseur du private banking, qui avait conclu une convention « execution only » (simple exécution d’ordres – pas de conseil en investissement ni de gestion discrétionnaire de portefeuille) avec une banque, reprochait à cette dernière de ne pas avoir exécuté des instructions relatives à la vente de droits de souscription qu’il détenait. La banque estimait qu’un tel ordre excédait les limites de la convention et n’était pas assez précis ; elle ne l’avait pas exécuté.

En justice, le Tribunal saisi de l’affaire a considéré que la banque avait commis une faute en n’attirant pas l’attention de son client, dès réception de l’ordre de bourse, sur le fait qu’un tel ordre sortait manifestement du cadre de la convention conclue, de sorte qu’il ne pourrait être exécuté par la banque.

Comment indemniser l’investisseur des conséquences de cette faute de la banque ?

L’investisseur soutenait que la faute de la banque lui avait causé un préjudice correspondant à la différence entre le prix moyen, par titre, de 11 EUR (à savoir le prix pendant les quatre premiers jours de cotation) et le prix unitaire de 4,60 EUR finalement obtenu lorsqu’il a été en mesure de vendre lesdits titres.

La banque estimait de son côté que, même si elle avait avisé le client que l’ordre n’était pas assez précis, celui-ci n’aurait pas été en mesure de lui donner un ordre plus précis et, par conséquent, de vendre les titres.

Le dommage et la perte d’une chance en droit financier : théorie juridique appliquée au droit boursier

La Cour de cassation considère le dommage comme étant « l’atteinte à un intérêt ou (…) la perte d’un avantage quelconque, pour autant que celui-ci soit stable et légitime »[1]. Un dommage est certain lorsqu’il ne présente pas un caractère « simplement hypothétique, conjectural ou éventuel »[2]. Il ne doit pas être certain dans son étendue mais dans son principe.

La perte d’une chance est la disparition de la possibilité qu’un événement favorable survienne (une hausse du cours de bourse) ou qu’un événement défavorable ne survienne pas (une baisse du cours). La théorie de la perte d’une chance permet ainsi d’indemniser une victime en cas d’aléa, portant sur l’obtention d’un bénéfice ou l’évitement d’une perte. Cette indemnisation ne pourra avoir lieu que lorsque les chances sont sérieuses.

« La théorie de la perte d’une chance peut être appréhendée de deux manières différentes. L’approche restrictive se situe au niveau du dommage. On considère que la perte d’une chance est la perte certaine d’un avantage probable. En d’autres termes, dans cette hypothèse, le lien causal est établi. La conception extensive se situe sur le plan du lien causal. Le dommage s’est réalisé mais on ne peut démontrer avec certitude sa relation avec la faute commise »[3].

La Cour de cassation semble avoir reconnu la conception extensive de la perte d’une chance à l’occasion d’un arrêt du 5 juin 2008 aux termes duquel elle estime que « la perte d’une chance réelle est prise en considération pour l’indemnisation si la faute est la condition sine qua non de la perte de la chance ». L’arrêt poursuit : « Le juge peut accorder une réparation pour la perte d’une chance d’éviter un préjudice si la perte de cette chance est imputable à une faute »[4].

Dans un arrêt plus récent du 10 septembre 2020, la Cour a estimé de la même manière que « lorsque le dommage consiste en la perte d’une chance d’obtenir un avantage espéré, ce dommage est certain lorsque la perte, en relation causale avec la faute, porte sur un avantage probable »[5].

Raisonnement du tribunal : le calcul de la probabilité que l’investisseur prenne une autre décision

Dans le cas décrit ci-dessus, le Tribunal estime qu’il n’est pas contestable que le client, s’il s’était vu opposer un refus par la banque d’exécuter son ordre, aurait pris d’autres dispositions. En s’abstenant de refuser d’exécuter l’ordre transmis par le client comme elle aurait dû le faire, la banque a donc empêché de manière certaine son client de prendre d’autres mesures.

En ce qui concerne la valorisation du dommage boursier, le Tribunal considère toutefois que cette circonstance ne permet pas de considérer comme établi que, s’il avait pris d’autres mesures, le client aurait nécessairement vendu ses titres à 11 EUR le titre.

Le Tribunal indique en revanche qu’il est « hautement probable » que le client – qui était rompu au domaine financier –, s’il avait suivi lui-même l’évolution de la situation au jour le jour, aurait réagi lorsque le cours des droits de souscription a brusquement diminué, pour passer de 12 EUR à 9,40 EUR le titre.

La question consistait ensuite à déterminer les chances qu’il y avait que le client, resté informé de l’évolution de la situation au jour le jour (pour avoir été avisé par la banque que son ordre ne pourrait être exécuté par elle) et autorisé à faire les choix stratégiques les plus intéressants pour lui-même, décide ou non de vendre à un moment où le cours était plus favorable que celui auquel ses titres ont effectivement été vendus.

A cette question, le Tribunal estime pouvoir répondre qu’il y avait de fortes probabilités – que le Tribunal évalue à 85 pour cent – que le client ait vendu ses titres dans le courant de la cinquième journée de cotation, soit au prix de 9,40 EUR le titre.

Partant, le Tribunal estime qu’il existe un lien causal entre la faute retenue à charge de la banque et que le dommage s’évalue à (85 pour cent x 9,40 EUR x 9.000 titres) moins le prix de 41.164,02 EUR obtenu, soit un montant de 30.745,98 EUR.

Pour aller plus loin (private banking et responsabilité)…

En matière de responsabilité de la banque dans des opérations de private banking, nous vous suggérons de lire nos précédents articles sur les questions suivantes :

Update le 4/10/2021 : en droit bancaire Suisse, nous avons pris connaissance de la décision suivante : https://cdbf.ch/1198/


[1] Cass., 4 septembre 1972, Pas., 1973, I, p. 1; Cass., 17 juin 1975, Pas., 1975, I, p. 999; Cass., 14 mai 2003, cités par P. Van Ommeslaghe, Obligations, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 1500.

[2] P. Van Ommeslaghe, op. cit., p. 1509.

[3] D. PHILIPPE, « Quelques réflexions sur la perte d’une chance et le lien causal », R.D.C., 2013/10, p. 1004.

[4] Cass., 5 juin 2008, C.07.0199.N/1.

[5] Cass., 10 sept. 2020, C.19.0357.F.

[6] Trib. Civ. Fr. de Bruxelles, 14 janvier 2019, J.L.M.B., 2019/27, p. 1295.

[7] Trib. Civ. Fr. de Bruxelles, 10 mai 2019, inédit, R.G. n° 2016/7635/A.

[8] Cass., 14 décembre 2017, Consilio, 2018, livr. 1, p. 39.

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par Anders Noren.

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