
Vers une prise de conscience sur la finance durable ?
Jusqu’à récemment, les enjeux climatiques ne faisaient pas partie des préoccupations du secteur financier.
Aujourd’hui, nous assistons à un revirement. Les termes “finance durable“, “investissement responsable“, “finance verte“, sont utilisés par tous les acteurs de secteur.
Greenwashing ou réelle prise de conscience ?
Greenwashing : Utilisation fallacieuse d’arguments faisant état de bonnes pratiques écologiques dans des opérations de marketing ou de communication (Larousse)
La conscientisation environnementale qui a suivi la COP 21 en 2015 ainsi que la signature de l’accord de Paris, qui vise à limiter l’élévation de la température à 1,5 °C, semblent avoir mis en exergue la nécessité de voir le monde financier jouer un rôle prépondérant dans le processus de transition environnemental.
Ainsi, en mars 2018, l’Union européenne a amorcé une transition vers une économie durable, à faible émission de carbone et plus économe en ressources.
Un plan d’action spécifique sur la finance durable a été lancé afin d’orienter la finance vers la durabilité.
Les principales actions menées à ce titre visaient à :
- établir un système de classification pour les activités durables (taxonomie) ;
- établir des labels européens pour les produits financiers verts ;
- accroître la transparence des entreprises sur leur politique Environnementale, Sociale et de Gouvernance (ESG) ;
- établir une réglementation sur les indices de référence à faible émission de carbone et à impact positif sur le carbone.
En juillet 2021, la Commission européenne a adopté un ensemble de mesures pour relever son niveau d’ambition en matière de finance durable.
Ainsi, une nouvelle stratégie en matière de finance durable prévoit une série d’initiatives pour lutter contre le changement climatique tout en renforçant les investissements dans la transition de l’Union européenne vers une économie durable.
Une proposition de norme de l’UE en matière d’obligations vertes, a également été adoptée.
Enfin un acte délégué relatif aux informations que doivent publier les entreprises financières et non financières pour indiquer le degré de durabilité de leurs activités a été adopté.
Ces initiatives tendent à démontrer la volonté de faire évoluer les politiques et de renforcer les normes en matière de finance durable.
ESG : critères environnementaux, sociaux et de gouvernance
Tant les enjeux ESG que les interrogations qu’ils soulèvent animent le secteur financier depuis de nombreux mois. L’interprétation des exigences réglementaires, leur mise en application, les divergences de vues entre les régulateurs ne facilitent toutefois pas la transition vers un avenir durable.
Afin d’aborder au mieux ces questions, de dresser un tableau du paysage réglementaire et des enjeux pour le secteur financier, Droitbancaire.be consacre une série d’articles sur la matière, publiés de semaine en semaine.
Cette première contribution donne un aperçu du contexte réglementaire et des exigences imposées par un des règlements européens.
Aperçu du contexte réglementaire européen
D’un point de vue réglementaire, deux textes retiennent particulièrement l’attention :
- le Règlement 2019/2088, mieux connu sous le nom de « Règlement SFDR » pour « Sustainable Finance Disclosure Regulation », qui vise à augmenter la transparence en matière de finance durable, et
- le Règlement 2020/852, connu sous le nom de « Règlement Taxonomie », qui cherche à élaborer un outil de classification permettant de déterminer si une activité peut être considérée comme durable.
Par ailleurs, le Règlement 2019/2089 (le « Règlement Benchmarks ») vise à permettre la comparabilité des indices de référence dits climatiques développés au cours des dernières années.
Enfin, d’autres textes ont été adoptés ou sont en passe de l’être.
Il s’agit des amendements à six actes délégués, afin de garantir que les entreprises financières prennent en considération la durabilité dans leurs procédures et dans les conseils en investissement qu’elles prodiguent à leurs clients.
Ainsi, la Commission a introduit une évaluation des préférences en matière de durabilité dans les actes délégués relatifs à la directive sur les marchés d’instruments financiers (MiFID II), de la directive sur la distribution d’assurances (DDA) ou encore de la directive OPCVM (UCITS).
Le Règlement SFDR : qu’est-ce que c’est ?
La réglementation SFDR impose aux acteurs des marchés financiers de communiquer des informations sur l’impact de leurs activités sur l’environnement et la manière dont ils prennent en compte les risques en matière de durabilité.
SFDR vise à fournir aux investisseurs une information plus transparente sur le niveau des caractéristiques environnementales ou sociales des produits financiers et sur la durabilité de leurs investissements ou de leurs objectifs.
A cette fin, les produits sont catégorisés en trois catégories principales, suivant le degré d’importance du critère de durabilité. Chacune de ces catégories est assortie d’obligations d’informations spécifiques et de critères d’investissement.
Ces catégories correspondent aux articles 6, 8 et 9 du SFDR :
- les produits relevant de l’article 8 promeuvent des caractéristiques sociales et/ou environnementales et peuvent investir dans des investissements durables, mais n’ont pas d’objectif d’investissement durable.
- les produits relevant de l’article 9 ont un objectif d’investissement durable.
- les produits relevant de l’article 6 intègrent soit des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans le processus de prise de décisions d’investissement, soit expliquent pourquoi le risque de durabilité n’est pas pertinent, mais ne satisfont pas aux critères supplémentaires applicables aux stratégies visées par l’article 8 ou l’article 9.
Quelles sont les obligations à charge des acteurs financiers ?
SFDR contraint les entités à publier des informations à deux niveaux, au niveau des entités et au niveau des produits.
En ce qui concerne les entités, les informations suivantes doivent être publiées :
- La prise en compte des risques en matière de durabilité (article 3) ;
Par risque en matière de durabilité, on entend un événement ou une situation dans le domaine environnemental, social ou de la gouvernance (ESG) qui, s’il survient, pourrait avoir une incidence négative importante sur la valeur de l’investissement.
- Les incidences négatives des décisions d’investissement qu’elles prennent ou de leur conseil sur les facteurs de durabilité (les Principales Incidences Négatives) (article 4) ;
Les facteurs de durabilité sont des questions environnementales, sociales et de personnel, le respect des droits de l’homme et la lutte contre la corruption et les actes de corruption.
Les entreprises mesurent l’impact de leurs décisions d’investissement ou de leurs conseils sur les facteurs de durabilité au moyen d’indicateurs qui seront définis dans les Regulatory Technical Standards (voir ci-après).
- La prise en compte des risques en matière de durabilité dans les politiques de rémunération (article 5).
En ce qui concerne les produits (notamment les OPC(A), les portefeuilles gérés, les produits fondés sur l’assurance), les exigences d’information suivantes sont applicables :
- les produits financiers qui promeuvent des caractéristiques environnementales ou sociales (les produits catégorisés « article 8 » du SFDR) ou les produits qui ont un objectif l’investissement durable (les produits catégorisés « article 9 » du SFDR), reprennent dans leur prospectus ou dans leur information précontractuelle les informations spécifiques requises par les articles 8 et 9 du SFDR ;
- tous les produits financiers visés reprennent les informations sur l’intégration des risques de durabilité (article 6 du SFDR) dans leur gestion au niveau du prospectus ou leurs informations précontractuelles ;
- les documents publicitaires portant sur ces produits financiers ne peuvent pas être en contradiction avec les informations reprises dans le prospectus ou les informations précontractuelles ;
- en principe, seuls les produits financiers répondant aux exigences de l’article 9 du SFDR ainsi que les produits répondant aux exigences de l’article 8 utilisent la terminologie « investissement durable / duurzame belegging / sustainable investment ».
C’est notamment dans les documents précontractuels, les prospectus, les rapports financiers et périodiques, ou encore sur leur site internet que les institutions financières sont tenues de communiquer ces informations.
Pourquoi le règlement SFDR est-il important ?
L’Union européenne (et plus généralement le monde entier) est confrontée de manière croissante aux conséquences potentiellement catastrophiques et imprévisibles des changements climatiques, de l’épuisement des ressources et d’autres problématiques liées à la durabilité.
Par conséquent, il est indispensable d’agir pour mobiliser des capitaux afin d’amorcer un revirement de la tendance actuelle.
Dans cette même optique, il est essentiel que les investisseurs prennent leurs décisions d’investissement en connaissance de cause.
La transparence accrue imposée par le SFDR permet d’éviter le « greenwashing » et donne aux investisseurs un moyen de comparer les solutions d’investissement qui leur sont présentées.
Le point sur la réglementation
SFDR est entrée en vigueur le 10 mars 2021, date à laquelle les obligations de transparence s’imposent aux acteurs des marchés financiers et aux conseillers financiers.
Les acteurs ou conseillers faisant partie d’un groupe comptant plus de 500 salariés (les « grands acteurs ») devront décrire leur méthode de prise en compte des Principales Incidences Négatives à partir du 30 juin 2021.
En complément du SFDR, les autorités européennes de supervision (ESAs) ont été chargées de rédiger des RTS visant à détailler et compléter les articles suivants du règlement :
- Deux RTS sur l’article 2 (définitions) ;
- Un RTS sur l’article 8 relatif à la transparence des caractéristiques environnementales ou sociales dans les informations précontractuelles publiées ;
- Un RTS sur l’article 9 concernant la transparence des investissements durables dans les informations précontractuelles publiées ;
- Un RTS sur l’article 10 concernant la transparence de la promotion des caractéristiques environnementales ou sociales et des investissements durables sur les sites internet ;
- Un RTS sur l’article 11 concernant la transparence de la promotion des caractéristiques environnementales ou sociales et des investissements durables dans les rapports périodiques.
Les projets de RTS relatifs aux articles 8, 9 et 11 ont été soumis à la Commission européenne le 22 octobre 2021.
La Commission avait un délai de trois mois pour les adopter en vue de compléter le Règlement SFDR. Toutefois, alors que dans un premier temps la Commission européenne avait indiqué qu’elle souhaitait réunir l’ensemble des RTS dans un règlement délégué qui entrerait en vigueur le 1er juillet 2022, elle a récemment fait savoir que la date de prise d’effet serait reportée au 1er janvier 2023.
Premières conclusions
Ce bref aperçu permet de tirer un premier constat : le législateur européen semble avoir pris conscience de la nécessité d’intervenir afin de favoriser l’émergence d’une finance durable.
Toutefois, la multitude des textes adoptés ou proposés, leur enchevêtrement (que nous analyserons dans une prochaine contribution) et la difficulté de prendre des mesures d’application ne sont pas de nature à faciliter la transition vers une économie plus verte.
Et pourtant, les enjeux sont de taille, et le secteur financier se doit d’y répondre.