4. Conséquences d’un remboursement anticipé de crédit

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4.1. Une perte

Lorsque le solde restant dû en capital d’un crédit est remboursé anticipativement, un actif de la banque disparait : la banque ne peut plus escompter les paiements futurs convenus entre parties lors de la conclusion du contrat.

Il va sans dire que la banque réinvestira le capital reçu anticipativement au plus vite afin de minimaliser la période d’improductivité des fonds. L’argent constituant le moyen de production d’une banque commerciale, son non-usage entraine en effet un coût d’opportunité pour la banque.

Toutefois, si les intérêts que la banque peut percevoir sur le « remploi » des fonds anticipativement remboursés sont moins élevés[1] que ceux qu’elle aurait perçus si le contrat de crédit avait été poursuivi jusqu’à son terme, la banque subira inévitablement une perte de rendement imprévue[2].

Outre ce qui précède, si les intérêts perçus sur le capital réinvesti sont inférieurs aux intérêts dus par la banque pour les coûts de funding réels du crédit remboursé anticipativement, la banque subit une  perte pure et simple. Le risque que les revenus perçus par la banque soient moins élevés que les coûts supportés par elle pour son funding est appelé « le risque de réinvestissement »[3].

Bien que le risque de réinvestissement ne puisse s’apprécier au niveau d’un crédit isolé (niveau microéconomique), l’hypothèse sous-jacente au contrat de crédit est que le taux d’intérêt est calculé pour qu’à l’échéance finale du crédit, la banque ait perçu suffisamment d’intérêts pour d’une part couvrir tous ses frais[4] (en ce compris le coût du funding), et d’autre part réaliser un certain bénéfice.

Le « juste prix » sera payé, in fine, si le contrat de crédit est respecté dans ses termes et jusqu’à son échéance. Si l’équilibre mis en place par la banque est perturbé par un remboursement anticipé, la banque ne couvre qu’une partie de ses frais et/ou une partie de son bénéfice. Il est ardu de déterminer à l’avance ce qu’il en est exactement puisque l’hypothèse évoquée ci-avant du respect du contrat de crédit jusqu’à échéance finale est brisée. Les frais liés au funding (dont le montant exact n’est connu, mais le taux est celui en vigueur au moment de la conclusion du crédit) demeurent, tandis que les revenus futurs du capital réinvesti à l’échéance finale du crédit remboursé anticipativement (dont le montant exact n’est pas connu, mais le taux est celui en vigueur au moment du remboursement anticipé) est incertain.

Il s’ensuit que les coûts réellement couverts par l’indemnité de funding loss ne peuvent être identifiés et déterminés à l’avance[5] et que l’indemnité de funding loss revêt nécessairement un caractère forfaitaire[6].

Au niveau microéconomique, pour un crédit pris isolément, la question de savoir si l’indemnité de funding loss convenue contractuellement est juste ou injuste (iustum pretium), ne trouve, au final, pas de réponse. Le coût exact d’un remboursement anticipé d’un crédit isolé n’est pas déterminable.

En revanche, au niveau macroéconomique, l’indemnité de funding loss assure que le risque de réinvestissement soit mis à la charge de l’emprunteur qui prend l’initiative de rembourser anticipativement le montant prêté, souvent en vue de faire une économie en se refinançant ailleurs à un taux plus bas. L’indemnité de funding loss assure que le dommage lié aux remboursements anticipés ne soit pas supporté par l’entièreté des clients de la banque.

En conclusion, lorsqu’un actif de la banque (le crédit) disparaît et est remplacé par un actif de valeur moindre (le réinvestissement du capital anticipativement perçu), la banque subit un dommage certain, que l’indemnité de funding loss, de manière forfaitaire, vise à indemniser.

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4.2. Un mismatch dans l’équilibre mis en place par la banque entre ses revenus et dépenses prévisibles

Une autre conséquence d’un remboursement anticipé est la perturbation de l’équilibre mis en place par le banquier, non seulement sur son bilan entre son passif (le funding) et son actif (le crédit), mais également sur son compte de résultats, entre ses dépenses et revenus futures prévisibles.

La banque, qui escomptait recevoir des paiements périodiques jusqu’à l’échéance du contrat de crédit remboursé anticipativement, reçoit de manière imprévue des fonds (excess cash) du fait du remboursement anticipé. Ces fonds reçus vont obliger la banque à rechercher d’autres revenus périodiques futurs qui lui permettront de conserver le meilleur équilibre sur son compte de résultats.

Dans un monde idéal, la banque opterait pour un investissement qui lui rapporterait les mêmes montants aux mêmes moments que ceux convenus dans le tableau d’amortissement du crédit remboursé anticipativement.

Pour prendre un exemple concret, si la banque, ayant octroyé un crédit d’un capital de 10 EUR, escomptait recevoir un paiement de 5,5 EUR après un mois et un deuxième paiement de 5,5 EUR après 2 mois, elle cherchera un réinvestissement qui lui rapportera 5,5 EUR le premier mois, 5,5 EUR après 2 mois (pour autant que les taux en vigueur au moment du réinvestissement le permettent). 

En pratique, la banque est toutefois limitée dans ses options, non seulement parce qu’elle est dépendante des conditions financières du moment, mais aussi compte tenu du fait qu’il n’y a pas d’offres d’investissements qui peuvent satisfaire à tous ces exigences spécifiques.

Les banques commerciales disposent heureusement de la faculté d’investir sur le marché interbancaire, qui offre une grande souplesse pour investir des fonds pour différentes durées et à différents taux. Dans l’exemple donné ci-dessus, la banque placera 5 EUR sur l’Euribor 1 mois et 5 EUR sur l’Euribor 2 mois (infra n° 5).

La suite :
5. Le calcul de l’indemnité de remploi
6. Conclusion


[1] Abstraction faite de la hauteur exacte des taux au moment du réinvestissement, le fait en soi que la durée de réinvestissement soit moins élevée que la durée du crédit initialement prévue a pour conséquence que le rendement que la banque peut attendre en réinvestissant les fonds reçus anticipativement est affecté. En effet, plus la durée d’un investissement est longue, plus le rendement est élevé.

[2] Comme on l’a vu ci-dessus, le rendement couvre les divers frais encourus par la banque en octroyant le crédit.

[3] The reinvestment risk is the risk that the amount which the lenders can earn on moneys received may be less than the rate which the lenders are obliged to pay (or would have been obliged to pay if they had match funded) on that sum for the remainder of the Interest Period. WRIGHT, S., The Handbook of International Loan Documentation, Palgrave Macmillan, 2014, p. 54, note de bas de page n° 6.

[4] Supra n° 3.1.

[5] WEINBERGER, M.-D., « Funding loss… in translation », D.B.F., 2014/I-II, . p. 10, note en bas de page n° 58.

[6] VERHAEGHEN, D. et PURNAL, D., “De vervroegde terugbetaling van commerciële kredieten : de “funding loss”-vergoeding revisited”, Liber Amicorum Achilles Cuypers, Bruxelles, Larcier, p. 307 et p. 336 à 342; WEINBERGER, M.-D., Funding loss… in translation, D.B.F., 2014/I-II, p. 7.

par Anders Noren.

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