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Comme on l’a écrit précédemment, la réalité du dommage résultant d’un remboursement anticipé n’est pas sérieusement contestable. Comment ce dommage peut-il, dès lors, être quantifié ?
Plutôt que se baser sur l’indemnisation du coût réel du funding (qui, nous l’avons vu, ne peut être identifié), l’indemnité de remploi regarde au futur en calculant la perte des revenus futurs dans le chef de la banque.
D’une part, la banque va calculer les revenus, en intérêts, qu’elle aurait perçus si le remboursement du crédit s’était poursuivi selon le tableau d’amortissement convenu. D’autre part, dans une optique de limitation de son dommage, elle va calculer les revenus qu’elle percevra en réinvestissant le capital reçu anticipativement sur le marché interbancaire. La différence entre ces deux données représente la perte de rendement forfaitaire soufferte par la banque et pour laquelle elle souhaite être dédommagée.
Les taux de référence utilisés pour calculer les revenus générés par le réinvestissement des fonds remboursés anticipativement sont ceux utilisés sur le marché interbancaire, pour la durée correspondante : l’Euribor (European Interbank Offered Rate) pour les flux de moins de 1 an et les ICE Swaps (InterContinal Exchange[1]) pour les durées supérieures. Il va de soi que le calcul opéré par la banque doit scrupuleusement respecter les normes standards de l’algèbre financier. A cet égard, les flux de trésorerie futurs sont actualisés pour notamment prendre en compte la valeur temporelle de l’argent et l’inflation. Cette technique de net present value calculation (valeur actuelle nette) est basée sur celle initialement inventée par Fibonacci (supra).
Si la période entre le remboursement anticipé et l’échéance finale du contrat initialement conclu ne correspond pas exactement à une durée fixe pour laquelle un remploi sur le marché à un taux d’intérêt déterminé est possible, le taux sera déterminé sur base d’une interpolation respectant les règles d’art financières[2].
La méthodologie décrite ci-dessus est inscrite dans la législation belge en matière de financement des PME et correspond aux usages bancaires internationaux en vigueur[3].
Il convient de constater que l’indemnité de funding loss ne couvre pas la totalité du dommage subi par la banque : le dommage résultant du mismatch causé par le remboursement anticipé n’est en effet pas couvert. Le calcul de l’indemnité de funding loss est basée sur la fiction selon laquelle l’équilibre peut être réinstauré en réinvestissant les fonds reçus anticipativement à des modalités identiques (montant, durée, taux, périodicité des paiements, …) à celles du crédit remboursé anticipativement.
En pratique, il est toutefois impossible pour la banque de réinstaurer un équilibre parfaitement identique à celui qui existait avant le remboursement anticipé. Les possibilités de la banque de réinvestir les fonds reçus anticipativement sont en effet limitées par l’offre disponible ainsi que par les taux d’intérêts en vigueur.
Les raisons pour lesquelles le calcul est basé sur l’hypothèse que les banques réinvestissent le capital reçu anticipativement dans le marché interbancaire sont nombreuses, en premier lieu parce que le marché interbancaire permet un réinvestissement quasiment immédiat des fonds perçus, de sorte que la durée de l’improductivité des fonds peut être minimalisée. En outre, le marché met à disposition un arsenal vaste d’investissements potentiels, ce qui permet de minimaliser encore un peu plus le déséquilibre causé par le remboursement anticipé. Enfin, le marché interbancaire est transparent car il offre une information accessible au public quant au niveau et à l’évolution des taux d’intérêt.
A notre connaissance, il n’existe pas de meilleure alternative pouvant rencontrer simultanément ces caractéristiques.
Certains auteurs suggèrent cependant que les fonds perçus anticipativement par la banque devraient plutôt être réutilisés pour octroyer de nouveaux crédits aux clients, afin de minimaliser davantage l’indemnité réclamée[4].
Bien qu’un tel scénario puisse paraitre idéal, il est improbable qu’en pratique, lors du remboursement anticipé, un autre candidat-emprunteur se présente à la banque et introduise une demande de crédit dont les modalités (montant, durée, taux, périodicité des paiements,…), seraient identiques à celles du crédit remboursé anticipativement.
En outre, les remboursements anticipés intervenant généralement dans un contexte de baisse des taux d’intérêts, aucun client ne pourrait raisonnablement accepter de contracter aux mêmes conditions que celles ayant prévalu avant ladite baisse.
Cette suggestion soulève par ailleurs des questions au niveau de la transparence, car elle revient à autoriser la banque de déterminer unilatéralement le montant du funding loss. En effet, une banque détermine de manière autonome le taux d’intérêt du nouveau crédit qui sera octroyé avec les fonds reçus anticipativement (et conséquemment le montant du funding loss). En conséquence, c’est la banque qui déterminerait (indirectement) le montant de l’indemnité de funding loss à imputer à l’emprunteur qui procède à un remboursement anticipé.
Enfin, il convient de tenir compte du fait qu’un investissement plus fructueux implique en principe un niveau de risque plus élevé. La banque devrait par exemple octroyer des crédits aux entreprises qui, à cause de leur profil de risque, ne se voient pas octroyer de crédit auprès d’autres établissements. Peut-on attendre d’une banque et de ses clients qu’ils assument un niveau de risque plus élevé dans le seul but de minimaliser l’indemnité de remploi (et de maximaliser les économies) dans le chef de l’emprunteur individuel qui rembourse son crédit anticipativement ?
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6. Conclusion
[2] Pour une excellente explication sur la méthodologie exacte, voy. VERHAEGEN, D. et PURNAL, D., « De vervroegde terugbetaling van commerciële kredieten : de « funding loss » – vergoeding revisited », in Liber Amicorum Achilles Cuypers, Larcier, 2009, p. 305 e.s.
[3] La documentation standard employée pour le syndicated loan market est établie par le Loan Market Association et définit le “break costs” comme suit : “Break Costs” means the amount (if any) by which:
(a) the interest which a Lender should have received for the period from the date of receipt of all or any part of its participation in a Loan or Unpaid Sum to the last day of the current Interest Period in respect of that Loan or Unpaid Sum, had the principal amount or Unpaid Sum received been paid on the last day of that Interest Period;
exceeds:
(b) the amount which that Lender would be able to obtain by placing an amount equal to the principal amount or Unpaid Sum received by it on deposit with a leading bank for a period starting on the Business Day following receipt or recovery and ending on the last day of the current Interest Period.
A noter qu’en Belgique aussi, la funding loss n’est calculée que jusqu’à la prochaine révision de taux.
[4] Notamment BIQUET-MATHIEU, C., « Crédit, remboursement anticipé et indemnité de remploi », Rev. not. belge, 2006, p. 515.