Le 23 février dernier, le président Poutine reconnaît « l’indépendance et la souveraineté » des zones des oblasts ukrainiens de Donetsk et de Louhansk. Il prend également la décision de faire entrer ses forces armées dans lesdites zones.
Suite à ces événements, le Conseil de l’Union européenne a imposé des mesures restrictives interdisant le financement de la Russie, de son gouvernement et de sa Banque centrale[1].
Sont ainsi interdites les opérations d’achat, de vente, de prestation de services d’investissement ou d’aide à l’émission de valeurs mobilières et d’instruments du marché monétaire, émis après le 9 mars 2022, ou toute autre transaction portant sur ceux-ci, par la Russie et son gouvernement, la Banque centrale de Russie et toute personne morale, entité ou organisme agissant pour le compte ou selon les instructions de la Banque centrale.
Il est par ailleurs interdit de conclure un accord ou d’en faire partie en vue d’accorder de nouveaux prêts ou crédits à toute personne morale, toute entité ou tout organisme mentionné ci-dessus après le 23 février 2022. Les dispositions relevantes sont les suivantes :
- Règlement (UE) 2022/260 du 23 février 2022 mettant en œuvre le règlement (UE) n° 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine : désignation de 26 personnes et entités
- Règlement (UE) 2022/261 du 23 février 2022 mettant en œuvre le règlement (UE) n° 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine : désignation de 336 personnes.
- Règlement (UE) 2022/259 du 23 février 2022 modifiant le règlement (UE) n° 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
- Règlement (UE) 2022/262 du 23 Février 2022 modifiant le règlement (UE) n° 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine.
- Règlement (UE) 2022/263 du 23 février 2022 concernant des mesures restrictives en réaction à la reconnaissance des zones des oblasts ukrainiens de Donetsk et de Louhansk non contrôlées par le gouvernement et à l’ordre donné aux forces armées russes d’entrer dans ces zones.
Par ailleurs, le 26 février, il est décidé d’interdire l’accès à SWIFT à certaines banques russes.
Ces nouvelles sanctions nous donnent l’occasion de nous pencher, en quelques questions, sur le régime des embargos et autres sanctions financières et commerciales appliqués par l’Union européenne (UE)[2] ainsi que sur le rôle joué par les banques dans ce cadre.
Pourquoi l’Union européenne adopte-t-elle des sanctions et d’autres mesures restrictives ?
Les mesures restrictives ou sanctions, dont les embargos, constituent un instrument essentiel de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE.
Les sanctions visent à susciter un changement de politique ou de comportement de la part des personnes ou entités visées, afin de promouvoir les objectifs de la PESC.
Les sanctions peuvent viser :
- des gouvernements de pays non-membres de l’UE en raison de leurs politiques ;
- des entités (entreprises) fournissant les moyens de mener les politiques ciblées ;
- des groupes ou organisations, par exemple des groupes terroristes ;
- des personnes qui soutiennent les politiques ciblées, qui prennent part à des activités terroristes, etc.[3]
Quelles sanctions sont adoptées par l’Union européenne ?
Il existe différents types de sanctions : les sanctions diplomatiques[4] et les sanctions au sens strict. Ces dernières sont :
- les embargos sur les armes ;
- les restrictions à l’admission de personnes figurant sur une liste (interdiction de pénétrer sur le territoire) : les personnes ciblées ne peuvent pas pénétrer sur le territoire de l’UE ou ne peuvent pas quitter le territoire de l´État membre dont elles sont ressortissantes s’il s’agit de citoyens de l’UE ;
- les sanctions économiques, les embargos financiers ou les restrictions appliquées à des secteurs spécifiques d’activité économique, y compris les interdictions d’importation ou d’exportation de certains biens, les interdictions portant sur les investissements, les interdictions de fourniture de certains services, etc.
- le gel des avoirs appartenant aux personnes ou entités figurant sur une liste : tous leurs avoirs dans l’UE sont gelés et les personnes et entités établies au sein de l’UE ne peuvent mettre aucun fonds à la disposition de celles figurant sur la liste ;
Une définition spécifique a également été donnée à la notion de « gel des fonds ».
Gel de fonds : « toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l’utilisation, notamment la gestion de portefeuille »[5]
La notion de « fonds » est extrêmement étendue puisqu’elle couvre, entre autres, le numéraire, les chèques, les créances en numéraire, les traites, les ordres de paiement, les dépôts, les soldes en comptes, les titres de propriété et d’emprunt, les actions, les certificats représentatifs de valeurs mobilières, les intérêts, les dividendes, le crédit, le droit à compensation, …
Quelles questions juridiques soulèvent l’adoption des sanctions ?
Comme indiqué, le Conseil de l’Union européenne prend des mesures restrictives dans le cadre de la PESC.
Il adopte d’abord une décision PESC, conformément à l’article 29 du traité sur l’Union européenne. Les mesures prévues dans cette décision du Conseil sont mises en œuvre soit au niveau de l’UE, soit au niveau national.
Les mesures telles que les embargos sur les armes ou les restrictions en matière d’admission sont directement mises en œuvre par les États membres, qui sont juridiquement tenus d’agir en conformité avec les décisions PESC du Conseil.
D’autres mesures visant à interrompre ou à limiter, partiellement ou en totalité, les relations économiques avec un pays tiers, notamment les mesures de gel de fonds et de ressources économiques, sont mises en œuvre au moyen d’un règlement adopté par le Conseil statuant à la majorité qualifiée.
Les règlements adoptés sont contraignants et directement applicables dans l’ensemble de l’UE
Ces règlements font l’objet d’un contrôle juridictionnel assuré par la Cour de justice et le Tribunal à Luxembourg. Les décisions PESC du Conseil prévoyant des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales font également l’objet d’un contrôle juridictionnel.
L’introduction et la mise en œuvre de mesures restrictives doivent toujours être conformes au droit international. Ces mesures doivent respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales, en particulier le droit de bénéficier des garanties prévues par la loi et le droit à un recours effectif. Les mesures imposées doivent être proportionnées à leur objectif.
Les mesures restrictives sont élaborées à la lumière de l’obligation pour l’UE, visée à l’article 6, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne, de respecter les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit de l’UE.
Les mesures restrictives doivent également respecter les obligations internationales de l’UE et de ses États membres, et notamment les accords de l’OMC. L’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et l’Accord général sur le commerce des services (GATS) sont applicables lorsque les mesures restrictives ont une incidence sur le commerce de biens ou de services avec des pays tiers[6].
Quel est l’impact des sanctions sur le secteur bancaire ?
Les banques jouent un rôle essentiel dans la mise en œuvre des sanctions.
En effet, ces mesures imposent aux banques de bloquer les avoirs des personnes visées par les sanctions. Par ailleurs, les banques peuvent également être la cible desdites sanctions.
Comme indiqué ci-dessus, les règlements adoptés lors de la mise en place des mesures restrictives sont contraignants et directement applicables dans l’ensemble de l’UE.
Ainsi, sauf dérogations expressément prévues, les institutions financières sont tenues de respecter toutes les mesures et interdictions de transactions. Ces mesures doivent être mises en oeuvre dès leur entrée en vigueur.
Les institutions financières sont tenues à une obligation de résultat.
Différentes obligations sont ainsi mises à charge des institutions financières.
Système de surveillance
En vertu de l’article 8, § 1er, 3° de la loi anti-blanchiment[7], les banques sont tenues de définir et de mettre en application des politiques, des procédures et des mesures de contrôle interne efficaces et proportionnées à leur nature et à leur taille afin de se conformer aux dispositions contraignantes relatives aux embargos financiers.
Conformément à l’article 23 du Règlement BNB anti-blanchiment[8], les institutions financières doivent se doter d’un système de surveillance permettant de s’assurer du respect des dispositions contraignantes relatives aux embargos financiers et aux gels d’avoirs.
Le système de surveillance doit procéder au filtrage de la clientèle et des opérations de réception/mise à disposition de fonds, instruments financiers ou ressources économiques pour détecter s’ils ne font pas l’objet d’une mesure de gel d’avoirs.
Ce système de surveillance doit couvrir l’intégralité des comptes et contrats des clients et de leurs opérations et permettre une détection rapide des éventuelles infractions aux dispositions en matière d’embargos et de gels d’avoirs.
Autres interdictions et obligations
1. Interdiction d’entrée en relation
Les banques doivent s’abstenir d’entrer en relation avec une personne ou une entité désignée dans un dispositif d’embargos financiers ou de gel d’avoirs.
A cet égard, elles doivent intégrer des aspects embargos et gels d’avoirs dans la politique d’acceptation des clients.
2. Interdiction de mise à disposition d’avoirs
La mise en œuvre d’une mesure de gel signifie que tous les avoirs du client désigné doivent être gelés.
Lorsqu’une opération vise à mettre des avoirs à la disposition d’une partie tierce, cette opération ne peut être exécutée.
Dans le pays cible, les banques doivent également faire preuve de prudence en cessant de fournir des services financiers à des clients sanctionnés, sous peine de se retrouver elles-mêmes sanctionnées pour contournement de l’embargo[9].
3. Obligation de déclaration immédiate au SPF Finances – Département de la Trésorerie
Dès qu’une institution financière procède à une mesure concrète de gel d’avoirs, il y a lieu de prendre contact avec le SPF Finances – Département de la Trésorerie.
4. Obligation de réexaminer le profil de risque du client désigné et des personnes liées et, le cas échéant, de procéder à une déclaration à la CTIF
Les institutions financières doivent réexaminer le profil de risques du client désigné sur une liste d’embargos ou de gels d’avoirs ainsi que des personnes liées à celui-ci.
Elles doivent mettre en œuvre des mesures de vigilance adaptées à l’égard du client désigné et des personnes liées et doivent réaliser un examen renforcé des opérations effectuées antérieurement, et plus généralement du fonctionnement de toute relation d’affaires ayant des liens avec la personne ou l’entité désignée.
Si le réexamen du profil de risque du client conduit à une décision de mettre fin à la relation d’affaires, cette décision ne peut avoir pour conséquence de restituer au client des avoirs visés par la mesure de gel.
Le cas échéant, complémentairement à la mesure de gel des avoirs et à sa notification au SPF Finances, département de la Trésorerie, l’institution financière procède également à une déclaration de soupçon à la CTIF.
Sanctions
Les infractions aux mesures d’embargos et au gel d’avoirs sont pénalement sanctionnées.
A cet égard, la loi du 13 mai 2003 relative à la mise en œuvre des mesures restrictives adoptées par le Conseil de l’Union européenne à l’encontre d’Etats, de certaines personnes et entités[10] prévoit des sanctions administratives et pénales en cas d’infractions aux règlements et décisions européens.
La loi anti-blanchiment prévoit également des sanctions administratives en cas de violation des dispositions contraignantes relatives aux embargos financiers.
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Sur les embargos, voyez également notre article relatif à la mise en cause de la responsabilité d’une banque (lien avec l’Iran).
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