La jurisprudence funding loss toujours abondante…
(extrait de notre baromètre de jurisprudence en droit bancaire – version 2019-2020)
Au sein des juridictions belges, s’agissant des opérations de crédit faisant l’objet d’une contestation sérieuse[1], la grande majorité des décisions rendues demeurent liées aux questions de funding loss et du remboursement anticipé de crédits et prêts conclus pour une durée déterminée entre une banque et une entreprise avant l’entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2013 relative à diverses dispositions concernant le financement des petites et moyennes entreprises.
Quelle est la problématique de la funding loss et du remboursement anticipé d’un crédit ?
Il est évidemment question de la possibilité, pour une entreprise, de rembourser anticipativement un crédit et de l’indemnité de rupture (funding loss) réclamée par la banque à cette occasion, si cette dernière accepte – sous réserve de l’indemnisation sollicitée – ledit remboursement anticipé[2]. Nous avons déjà exposé autrement cette problématique dans un autre article de ce site.
La banque invoque pour sa part le dommage que le non-respect du terme convenu entre les parties lui cause, compte tenu du maintien de l’obligation de la banque de rembourser, sur le marché interbancaire, les fonds qu’elle a elle-même empruntés pour les tenir à disposition de l’emprunteur. Dans un contexte de baisse des taux d’intérêts, le remploi des fonds remboursés sur le marché ne suffit jamais à compenser ce dommage que la banque entend logiquement répercuter sur son client, qui entend ne pas mener la convention de crédit au terme convenu. La funding loss est la différence entre le manque à gagner subi et le remploi des fonds.
L’emprunteur, pour sa part, estime que l’indemnité de funding loss à payer est injuste et surtout – dans un contexte de taux d’intérêts très bas tel que vécu ces dernières années – trop élevée. Souvent, l’emprunteur espère également se délier de la convention conclue avec son banquier avant terme pour obtenir un refinancement avantageux auprès d’un banquier tiers.
En 2019, cette thématique de la funding loss était tout aussi abondante auprès de l’Ombudsfin, qui aura connu 37 plaintes recevables au sujet des remboursements anticipés de crédit sur 81. 19 % des cas ont abouti à une diminution de l’indemnité de funding loss proméritée par la banque[3].
Rappel des principes et de l’enjeu juridique du contentieux de la funding loss
L’enjeu : limitation à 6 mois de l’indemnité de funding loss en cas de remboursement anticipé d’un prêt
En cette matière de funding loss, l’on rappellera que l’enjeu actuel majeur du contentieux dans les prétoires est essentiellement, dans le chef des emprunteurs, de convaincre le juge qu’un contrat de crédit d’investissement doit en réalité être requalifié en un contrat de prêt à intérêt.
En effet, s’il y parvient, l’emprunteur pourra rembourser anticipativement les montants que la banque lui a prêtés, en dépit du terme contractuel convenu entre les parties. Surtout, il pourra bénéficier de la limitation de la funding loss / indemnité de remploi à payer à la Banque à un montant équivalent à 6 mois d’intérêts, en application de l’article 1907bis du Code civil – ce dernier n’est applicable qu’au contrat de prêt, selon une jurisprudence et une doctrine désormais bien établies. Le 14 mars 2019, la Cour de cassation[4] a par ailleurs jugé que face à un prêt à intérêts, l’indemnité réclamée par la banque – qu’elle soit dénommée « indemnité de remploi », « funding loss » ou « indemnité de rupture » – ne peut dépasser les 6 mois d’intérêts prévus par l’article 1907bis, même lorsque la convention de prêt exclut un tel remboursement anticipé.
Les difficultés : convaincre que le contrat de crédit doit être requalifié en un prêt
La tâche demeure ardue pour l’emprunteur : à moins de se trouver dans une situation flagrante où un contrat de prêt aurait été maladroitement qualifié par les parties de contrat de crédit, ou de profiter d’une position doctrinale favorable ou face à un juge peu enclin à prendre en considération les principes économiques justifiant le calcul de la funding loss, il devra franchir plusieurs haies sur son parcours et convaincre que malgré l’intitulé du contrat de crédit, la volonté des parties in tempore non suspecto était bien de conclure et d’exécuter les termes d’un contrat de prêt.
Quelles différences entre un contrat de crédit et un contrat de prêt ?
Les contrats de prêt et de crédit diffèrent en de nombreux points. Nous en rappelons ci-après les principales caractéristiques.
En résumé, le prêt est :
- une forme de prêt de consommation, soit un « contrat par lequel l’une des parties livre à l’autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l’usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité » (article 1892 du Code civil), augmenté d’un intérêt ;
- un contrat réel[5] : il se forme par la remise matérielle de la chose prêtée à l’emprunteur. Les fonds sont comptabilisés au moyen d’une opération de crédit en compte, le versement étant à l’initiative du prêteur[6] ;
- un contrat unilatéral : il ne crée d’obligations que dans le chef de l’emprunteur ;
- un contrat nommé : il est réglementé et qualifié par une disposition de droit positif ;
- un contrat pour lequel les intérêts sont calculés dès la remise des fonds à l’emprunteur, sur la totalité du montant prêté. Les remboursements échelonnés prévus dans la convention débutent, en principe, dès la remise des fonds par la banque.
Sur le plan économique, à conditions de marché égales, le contrat de prêt reprend un taux d’intérêts plus élevé que celui appliqué au contrat de crédit : les banques ont recours à des techniques de hedging pour sécuriser leur perte en cas de remboursement anticipé, la limitation de l’indemnité de remploi (funding loss) à 6 mois d’intérêts étant, à défaut, insuffisante. Cette « couverture » a un coût, répercuté sur l’emprunteur dans le taux d’intérêt, en amont de la conclusion du contrat de crédit.
En résumé, le contrat de crédit est :
- un contrat consensuel : il se forme par le simple échange des consentements respectifs des parties et ne nécessite pas une remise du montant prêté pour être valablement formé ; il relève davantage de la liberté contractuelle quant à son contenu ;
- un contrat synallagmatique : les deux parties signataires s’obligent réciproquement : la banque tient des fonds à disposition, le crédité doit les utiliser selon les modalités prévues, et les rembourser ensuite ; c’est un contrat par lequel une personne (le créditeur) s’oblige à mettre temporairement à la disposition d’une autre (le crédité) ses fonds ou son crédit personnel à concurrence d’un montant déterminé ; le crédité s’engage à rembourser les avances reçues augmentées d’un intérêt[7] ;
- un contrat innommé : il peut être librement négocié entre les parties contractantes[8] ; il s’agit d’une « tenue à disposition » de fonds, par le prêteur, au bénéfice de l’emprunteur. Les prélèvements se comptabilisent comme des opérations de débit en compte ;
- un contrat qui prévoit généralement le calcul d’une commission de réservation sur les montants non prélevés, jusqu’à la fin de la période de prélèvement. Une telle commission se justifie par le fait que la banque, d’une part, ignore à quel(s) moment(s) le crédité prélèvera les fonds, tandis que, d’autre part, elle doit réserver ceux-ci afin d’être certaine de pouvoir respecter son engagement de mise à disposition pris à l’égard du crédité[9] ;
- un contrat dont les prélèvements relèvent de l’initiative discrétionnaire de l’emprunteur, qui est libre de prélever ou non les montants mis à sa disposition. En cas de non-prélèvement, la commission de réservation est calculée sur les montants non-prélevés à l’échéance de la période de prélèvement, tandis qu’au-delà, si celle-ci n’est pas prolongée, une contrepartie financière est calculée au profit de la banque sur les montants non prélevés et, par conséquent, replacés sur le marché (il s’agit en réalité d’une indemnité de remploi, théoriquement peu élevée dès lors que les taux du marché n’ont généralement pas connu de baisse importante dans un court délai). A cet égard, plutôt que d’invoquer une « liberté de prélèvement » comme étant caractéristique du contrat de crédit, nous préférons aujourd’hui envisager cette « liberté » comme un « droit de prélèvement », dans le chef de l’emprunteur, la notion de liberté faisant allusion à un concept trompeur, le droit de prélever étant, en réalité, toujours modalisé par les parties[10] ; mais c’est bien l’existence de ce droit qui doit être considérée comme caractéristique d’un contrat de crédit ;
- un contrat en vertu duquel les intérêts ne courent que sur les montants effectivement prélevés, les remboursements ne débutant qu’à l’échéance de la période de prélèvement.
L’enseignement de la Cour de cassation en matière de requalification d’un contrat sui generis – dont le contrat de crédit – en un contrat nommé – le contrat de prêt –, consiste à n’accepter une requalification qu’en présence « d’éléments radicalement incompatibles avec la qualification retenue par les parties » , et « pour autant que toutes les caractéristiques essentielles du contrat nommé en lequel il serait requalifié soient rencontrées » [11].
La « requalification » d’un contrat de prêt à intérêt en un contrat autrement nommé ou innommé peut s’imaginer aisément. Les caractéristiques essentielles que doivent revêtir les contrats nommés sont définies dans la loi, laquelle rend possible l’identification des éléments du contrat qui seraient incompatibles avec la qualification retenue par les parties, pour ensuite « disqualifier » celle-ci si nécessaire.
A l’inverse, la requalification d’un contrat innommé en un contrat nommé est moins évidente compte tenu du principe de l’autonomie de la volonté et de la nécessaire sécurité juridique des cocontractants. Elle ne sera admise qu’en présence d’éléments « radicalement incompatibles » avec la qualification retenue par les parties[12], et pour autant que les caractéristiques essentielles du contrat nommé en lequel il serait requalifié soient toutes rencontrées.
Comment faire requalifier un contrat de crédit en un contrat de prêt ?
Pour requalifier un contrat de crédit en un contrat de prêt et bénéficier d’une indemnité de remploi (funding loss) réduite, en application du raisonnement de la Cour de cassation, il convient donc, en deux temps, de :
- démontrer que le contrat de crédit soumis à l’appréciation du juge contient des éléments radicalement incompatibles avec la figure juridique qu’est le contrat de crédit ; et
- démontrer que toutes les caractéristiques du contrat de prêt à intérêt sont rencontrées par la situation soumise au juge.
A défaut, l’action découlant d’une tentative de requalifier le contrat de crédit en un contrat de prêt doit être déclarée non fondée.
Analyse de la jurisprudence en matière de funding loss et remboursement anticipé de crédit
La jurisprudence de 2019 que nous avons analysée est contrastée, selon les cas et selon les juges saisis de la problématique de la funding loss. Parmi les décisions judiciaires en notre possession, nous en avons retenu une quinzaine, rendues après qu’un débat de fond sensé ait pu se tenir. A l’instar de l’exercice auquel l’un des auteurs de cette chronique s’était adonné en 2017[13], nous avons distingué les cas ayant abouti à une requalification de ceux pour lesquels une telle requalification a été refusée.
L’examen de ces cas à la lumière de l’issue qui leur a été réservée permet de dégager des tendances et de prédire plus adéquatement les chances de succès d’un litige en cette matière.
Ce qui suit devra par ailleurs être lu à la lumière des deux arrêts rendus en funding loss par la section néerlandophone de la Cour de cassation en 2020[14], et qui ont fait l’objet de publications sur notre site : l‘arrêt du 27 avril 2020; l’arrêt du 18 juin 2020. Deux nouveaux arrêts ont été rendus par ailleurs respectivement en 2021 et 2022.
Refus de requalification d’un contrat de crédit en un contrat de prêt
Contentieux de la funding loss à Bruxelles
En 2019, le Tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles[15] a notamment eu à connaitre d’une demande de requalification d’un contrat de crédit d’investissement d’un montant de 80.000,00 EUR, qui avait pour objet le financement de travaux à réaliser dans un appartement dont l’acquisition devait s’opérer, pour sa part, au moyen d’un contrat qualifié de prêt. Le crédit d’investissement était utilisable sous forme d’avances de caisse en compte. Il avait fait l’objet de 3 prélèvements et son remboursement était garanti par une hypothèque.
Le tribunal était dans une position idéale pour statuer, dès lors qu’il faisait face à un contrat intitulé « crédit d’investissement » et un contrat de « prêt », conclus le même jour par les mêmes parties. Les différences entre les deux contrats proposés par la banque, constituaient un véritable cas d’école.
Dans la motivation de sa décision, le tribunal commence par rappeler la théorie de la Cour de cassation relative à la requalification d’un contrat, reprise supra, point 6. Il rappelle ensuite que la Cour enseigne également que « au regard des faits spécialement invoqués à l’appui des prétentions des parties, le juge a l’obligation de rechercher la qualification contractuelle appropriée, quitte à écarter la qualification choisie initialement, puis confirmée au prétoire, par les parties »[16].
Le tribunal plonge ensuite au cœur du contrat de crédit et des conditions générales de la banque en cherchant à apprécier si le contrat « est ou non compatible avec la caractéristique principale d’un contrat d’ouverture de crédit », caractéristique que le tribunal estime être « la liberté dont le créancier dispose de prélever les fonds à sa guise », reprenant ainsi les propos d’une doctrine estimant qu’il s’agit du critère essentiel de la définition de l’ouverture de crédit, voire son seul véritable trait caractéristique par rapport au contrat de prêt[17].
Le tribunal conclut que durant la période de prélèvement, l’emprunteur avait certainement la faculté de prélever tout ou partie du crédit litigieux, remarquant qu’en cas de non-prélèvement de certaines sommes, l’emprunteur aurait uniquement été redevable de commissions de réservation sur les sommes non prélevées, sans être tenu de rembourser les montants non prélevés, le plan de remboursement devant être adapté le cas échéant. Logiquement, le tribunal conclut au non-fondement de la demande découlant de la requalification invoquée.
Dans deux autres cas similaires, le tribunal de l’entreprise – néerlandophone – de Bruxelles[18], a également réfuté toute requalification d’un contrat de crédit consenti pour l’acquisition d’un immeuble couplée à l’accomplissement de travaux, suivant le même raisonnement que son homologue francophone. Dans le second cas, le tribunal rappelle que la banque est « obligée de connaître la destination du crédit » dès lors qu’il pèse sur le banquier une responsabilité lors de l’octroi du crédit et dans l’évaluation des capacités de remboursement de l’emprunteur, et à l’égard de laquelle la destination des fonds prêtés joue un rôle important.
Le raisonnement du tribunal est pertinent : que dirait-on du banquier qui aurait permis à un emprunteur de prélever des sommes et d’affecter celles-ci à d’autres fins que, par exemple, la construction d’un immeuble censé générer, dans le chef de l’emprunteur, des revenus locatifs ? Dans un tel cas, la responsabilité du banquier pourrait être engagée par des tiers, par exemple pour avoir participé à la création d’une apparence de solvabilité dans le chef de l’emprunteur, ce que le tribunal confirme à juste titre.
Le tribunal fait également remarquer que le contrôle par le banquier de la destination des fonds mis à disposition de l’emprunteur n’est en rien une caractéristique d’un prêt à intérêt. A l’appui de ce constat, le tribunal raisonne par analogie en rappelant qu’une banque peut parfaitement consentir un prêt à tempérament à son client sans en contrôler spécifiquement l’utilisation, sans que la qualification du contrat – de prêt – soit remise en cause.
Dans une autre affaire, le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles[19], composé différemment, a eu à juger d’une demande de requalification d’une convention intitulée « crédit d’investissement », octroyée pour consolider un crédit mais également pour financer un solde de travaux à exécuter dans un immeuble de rapport à Bruxelles, acquis par l’emprunteur au moyen d’un premier crédit. La période de prélèvement avait couru pour une durée d’un peu moins de 4 mois. Le crédit litigieux, garanti par une hypothèque, avait été prélevé en trois fois, sur deux mois.
A l’appui de sa décision, le tribunal rappelle en préambule la rupture de l’équilibre entre parties qu’un remboursement anticipé crée inévitablement, et la perte pour la banque qu’une telle rupture entraîne. Il rappelle ensuite le principe du pacta sunt servanda (art. 1134 du Code civil).
Sur la requalification, le tribunal estime qu’aucun des éléments du contrat de crédit d’investissement n’est « incompatible avec la qualification juridique retenue par les parties ».
Au sujet de l’absence de liberté de prélèvement invoquée par le curateur de l’emprunteur – entretemps déclaré en faillite – le tribunal réfute le moyen, remarquant qu’aucune disposition conventionnelle du crédit d’investissement litigieux ne prévoit le droit pour la banque d’imposer la remise des fonds ou le prélèvement, ni de l’exiger, le cas échéant, en justice. Il n’existait en l’espèce aucune obligation de prélever les fonds, mais bien un « droit de prélever les fonds » dans le chef de l’emprunteur, la modalisation de ce droit et l’existence de contreparties à celui-ci n’étant pas incompatibles avec la qualification retenue par les parties in tempore non suspecto.
L’existence d’une durée de prélèvement est par ailleurs, pour le tribunal, un élément caractéristique d’un contrat d’ouverture de crédit, au contraire du caractère non-réutilisable du crédit, qui n’est pas inconciliable avec la définition du contrat de crédit retenue, notamment, par la Cour constitutionnelle[20].
Ne décelant aucun élément radicalement incompatible avec la qualification retenue par les parties, le tribunal refuse de requalifier la convention soumise à son appréciation en un contrat de prêt. Il rejette par ailleurs le moyen tiré de l’abus de droit qu’aurait constitué la réclamation par la banque de l’indemnité calculée, celle-ci correspondant à la pratique bancaire et à une technique de remploi par ailleurs validée par le législateur dans la loi du 21 décembre 2013 relative au financement des petites et moyennes entreprises.
La Cour d’appel – section néerlandophone[21] – a pour sa part eu à examiner un crédit d’investissement d’une durée de 20 ans pour un montant de 400.000,00 EUR, conclu en sus d’un crédit de caisse d’un montant de 5.000,00 EUR. Le jour de la conclusion des contrats, l’emprunteur avait fait l’acquisition d’une parcelle de terrain à Tervuren, au moyen de fonds propres, le financement obtenu devant servir à l’érection d’un immeuble sur ce terrain. Le crédit avait finalement été prélevé en plusieurs tranches, partiellement.
La Cour rappelle tout d’abord les principes économiques pertinents et les techniques de funding, ainsi que le principe selon lequel en cas de remboursement anticipé, la banque souffre non seulement d’un manque à gagner mais également d’une perte réelle. Cette perte est engendrée par la poursuite de l’exécution par la banque de ses obligations sur le marché interbancaire, ou par le paiement sur le marché d’une indemnité de rupture[22].
Sur la requalification du contrat, la Cour constate l’existence d’une commission de réservation, la soumission des prélèvements à la production de justificatifs, une clause prévoyant une indemnité en cas de non-prélèvement total ou partiel, et le début des remboursements à l’issue de la période de prélèvement, le tableau d’amortissement étant adapté en cas de non-prélèvement de la totalité des fonds mis à disposition de l’emprunteur.
La Cour estime que ces caractéristiques n’empêchent pas que l’emprunteur prélève ou non tout ou partie des montants mis à sa disposition. Le fait que le crédit ait pu être prélevé en une seule fois – ce qui n’était pas le cas en l’espèce – aurait en tout état de cause relevé de la seule volonté de l’emprunteur.
De même, l’absence de faculté de réutilisation des montants empruntés sans l’accord de la banque n’est également pas incompatible avec l’ouverture de crédit – cette question étant par ailleurs purement théorique puisqu’en l’espèce, l’emprunteur ne démontrait pas qu’il aurait fait usage d’une telle faculté de réutilisation discrétionnaire, le cas échéant.
Aucun élément du contrat n’étant radicalement incompatible avec la définition du contrat de crédit, la Cour déclare non fondée la demande découlant de la requalification qui lui avait été soumise. Elle réfute également tout abus de droit, tout manquement au devoir d’information et de conseil de la banque, tout dol ou erreur vice de consentement. Notons qu’en l’espèce, la banque avait conseillé à l’emprunteur – à juste titre – d’utiliser en premier lieu ses fonds propres destinés à l’ensemble de l’opération, compte tenu du fait que l’utilisation du crédit lui aurait coûté davantage que ce que son compte d’épargne ne lui aurait rapporté.
Cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi en cassation, qui sera rejeté le 27 avril 2020[23] : sur le premier moyen de cassation pris de l’appréciation par le juge d’appel de l’existence d’une liberté de prélèvement dans le chef de l’emprunteur, sans surprise, la cour déclarera le moyen irrecevable, s’agissant d’une appréciation en fait dont la Cour n’a pas à connaître.
Sur le second moyen de cassation basé sur la décision du juge d’appel de confirmer la qualification critiquée du contrat de crédit, par contre, la Cour de cassation validera le raisonnement du juge d’appel selon lequel tant la clause stipulant le paiement par l’emprunteur d’une indemnité pour non-prélèvement des fonds, que la clause en vertu de laquelle le prélèvement des tranches du crédit devait obtenir, préalablement et à chaque fois, l’accord de la banque, n’excluent pas la qualification du contrat de crédit en tant que tel.
Enfin, la circonstance qu’un tableau d’amortissement prévoyant des remboursements périodiques fixes dès le premier mois de la période d’amortissement n’exclut également pas la qualification du contrat de crédit en tant que tel, dès lors qu’en cas de non-prélèvement par l’emprunteur de la totalité des fonds mis à disposition, un nouveau tableau d’amortissement est, en pratique, établi, sur base du montant effectivement prélevé par l’emprunteur[24].
Le contentieux de la funding loss à Mons
Le tribunal de l’entreprise de Mons a également eu à connaître de demandes similaires en matière d’indemnité de remploi / funding loss. Les 31 octobre 2019[25] et 12 décembre 2019[26], le tribunal a rejeté ces demandes formulées à l’encontre de différents contrats conclus entre des emprunteurs et des banques différentes.
Dans la première affaire, qui donnera lieu à une décision remarquablement bien motivée et intégralement reproduite en annexe, la banque et son client avaient conclu une ouverture de crédit utilisable sous forme d’un crédit d’investissement de 350.000,00 EUR en vue de financer les travaux d’aménagement d’un immeuble à appartements, mais également sous une deuxième forme de type « crédit-bullet » ou « straight-loan » ayant pour objet l’acquisition de deux autres immeubles, et sous une troisième forme de type crédit d’investissement pour l’aménagement des immeubles acquis au moyen du crédit bullet. Toutes les formes d’utilisation étaient conclues à durée déterminée.
Sur le principe de la requalification, le tribunal rappelle le nécessaire respect de la foi due aux actes et le prescrit de l’article 1320 du Code civil, estimant devoir rechercher la commune intention des parties, en premier lieu dans l’instrumentum liant celles-ci, dès lors qu’elles ont entendu coucher par écrit l’objet de leur accord. Il s’agit là de respecter la primauté de l’écrit à titre de preuve de l’intention des parties, conformément à l’article 1341 du Code civil.
Le contrat ayant été nommé par les parties, le tribunal rappelle les décisions de la Cour de cassation sur le sujet, en ce qu’une requalification ne sera possible que si le juge relève dans la convention ou dans son exécution des éléments qui excluent radicalement la qualification retenue par les parties[27].
Reprenant notamment à son compte la définition du contrat de crédit retenue par la Cour constitutionnelle, le tribunal souligne qu’en dépit de cette définition, c’est la liberté d’exercer le droit de prélèvement par le crédité qui est un élément caractérisant essentiellement l’ouverture de crédit.
La qualification du contrat par les parties étant évidente, le tribunal recherchera des « éléments radicalement incompatibles avec une telle qualification ». L’exercice aboutira à la conclusion que l’encadrement du droit de l’emprunteur de prélever les fonds mis à sa disposition n’est pas incompatible avec la qualification du contrat de crédit en tant que tel. Les périodes de prélèvement (de 12 et 7 mois dans le cas d’espèce) relèvent du devoir de prudence du banquier. De même en va-t-il de l’exigence de production de pièces justificatives pour obtenir la libération des fonds, ou de l’indication de la destination des fonds, qui relèvent également de la responsabilité et du devoir de vigilance du banquier « qui pourrait avoir à rendre compte de son analyse du risque du crédit » et « ne constitue[nt] par une atteinte au droit du crédité ». Ces conditions ne sont jamais que des conditions suspensives de mise à disposition des fonds.
L’indemnité de non-prélèvement est, par ailleurs, une caractéristique des ouvertures de crédit : elle ne crée pas d’obligation de prélever les fonds dans le chef du crédité, la banque ne disposant d’aucun droit d’action pour contraindre le crédité au prélèvement. Cette indemnité vise à indemniser la banque de la perte de revenus qu’elle encourt si le crédit n’a pas été prélevé en tout ou en partie. Le tableau d’amortissement, quant à lui, est variable puisqu’il est indicatif de prime abord et est voué à être modifié en cas de prélèvement partiel des fonds mis à disposition.
La commission de réservation a pour vocation, pour sa part, de compenser la non-productivité d’intérêts en faveur de la banque, tant que les fonds disponibles ne sont pas prélevés. Elle est économiquement justifiée, tout comme l’est l’obligation dans le chef de l’emprunteur de constituer des sûretés.
Finalement, le tribunal conclura qu’au contraire, les contrats qui lui sont présentés contiennent des éléments radicalement incompatibles avec les caractéristiques intrinsèques du contrat de prêt à intérêts : la commission de réservation, la période de prélèvement, la computation des intérêts sur le montant effectivement prélevé par l’emprunteur, l’obligation de payer une indemnité de non-prélèvement font partie de ces éléments.
La requalification – et la réduction de la funding loss – sera écartée, tout comme l’argument tiré de l’abus de droit.
Dans la seconde affaire, où le tribunal était amené à analyser un crédit d’investissement visant la construction d’un cabinet médical et ayant fait l’objet de 26 prélèvements, y compris après la période de prélèvement contractuellement convenue, le raisonnement du tribunal sera, logiquement, identique – un appel de cette décision est pendant.
Le contentieux de la funding loss à Gand
A Gand, c’est un arrêt du 14 janvier 2019 rendu par la cour d’appel[28] qui a retenu notre attention et donné lieu à un refus de requalification, réformant le jugement rendu en première instance le 22 janvier 2018 par le tribunal de commerce de Gand, division Dendermonde.
Il s’agissait d’analyser un crédit d’investissement conclu en vue de financer l’achat d’un terrain industriel et, partiellement, la construction d’un bâtiment industriel sur ledit terrain.
Ici également, les prélèvements étaient soumis à la production préalable des documents justifiant l’utilisation des fonds et à la constitution préalable d’une hypothèque sur le terrain à acquérir. La Cour relève l’existence d’une période de prélèvement de 8 mois, une commission de réservation, et la présence des autres conditions rencontrées dans les précédents cas analysés, notamment l’existence d’une indemnité calculée sur les montants éventuellement non-prélevés à l’expiration de la période de prélèvement, ou le début du calcul des intérêts après le premier prélèvement et uniquement sur les montants prélevés. La Cour aura également égard à la qualification du contrat validée par les parties dans l’instrumentum qui lui était présenté.
Requalification du contrat de crédit en un contrat de prêt
Le contentieux de la funding loss à Liège
L’on pourrait croire que les juridictions liégeoises ont une approche sensiblement différente de cette matière et adopter une position de principe, nonobstant la volonté initiale des parties, le principe du pacta sunt servanda, ainsi que de la perte encourue par la banque en cas de non-respect du terme contractuel convenu entre les parties. Les arrêts de cassation rendus en 2020, 2021 et 2022, pourraient modifier cette analyse.
En 2019, la Cour d’appel de Liège a à nouveau été volubile au sujet de la requalification des contrats de crédit en contrats de prêt.
Dans une première affaire[29], il revenait à la Cour d’appel de Liège d’analyser la requalification éventuelle d’un contrat de crédit d’investissement, conclu pour 20 ans et visant à financer l’achat d’un bâtiment. Les modalités classiques d’un crédit d’investissement étaient stipulées : période de prélèvement, remise de justificatifs avant chaque prélèvement, indemnité pour non-prélèvement, commission de réservation, etc.
Les fonds mis à disposition de l’emprunteur avaient été prélevés en une seule fois pour l’acquisition de l’immeuble susvisé. Ultérieurement, un nouveau crédit d’investissement avait été conclu pour financer la transformation, l’embellissement ou l’aménagement d’une maison d’habitation. Cette fois, ce second crédit fera l’objet de 11 prélèvements sur une période de 4 mois.
En première instance, le juge principautaire avait limité à 6 mois d’intérêts l’indemnité de remploi réclamée sur tous les crédits consentis.
La Cour débute la motivation de son arrêt en rejetant, d’une manière aussi cinglante que surprenante, le principe selon lequel le remboursement anticipé d’un crédit modifierait l’équilibre économique en place jusqu’alors, se contentant d’estimer que la banque « procède par généralités et n’en rapporte nullement la preuve ». Ensuite, analysant le crédit visant l’acquisition de l’immeuble, la Cour souligne qu’en réalité, le crédité n’a d’autre choix que de prélever l’intégralité des fonds en une seule fois. Pour la Cour, la période de prélèvement prévue est purement théorique et « contrainte » – alors qu’il s’agit d’un consentement librement donné – d’affecter les fonds empruntés à l’acquisition de l’immeuble visé par le contrat. La Cour estime également que la stipulation au profit de la banque d’une indemnité en cas de non-utilisation des fonds non-prélevés et retournés, par conséquent, sur le marché interbancaire, calculée sur la même base que l’indemnité de remploi, participe à cette contrainte de prélèvement de la totalité des fonds mis à disposition.
Le fait qu’une convention entre parties existe préalablement à la remise des fonds n’est pas élusive, selon la Cour, du contrat de prêt au profit du contrat de crédit. En réalité, l’échange des consentements préalable à la remise des fonds constitue une promesse de prêt « de nature synallagmatique », la remise effective des fonds emportant la formation du contrat de prêt.
Le raisonnement de la Cour, qui requalifie donc le premier contrat de crédit en un contrat de prêt, s’apparente davantage à la recherche d’une justification cohérente en droit d’une demande introduite par l’emprunteur qu’à la prise en compte de la réalité économique de la situation.
Poursuivant sur sa lancée, la Cour va également requalifier le second crédit d’investissement, estimant que malgré la période de prélèvement plus longue et le fait que 11 prélèvements seront opérés par l’emprunteur, la liberté de prélèvement de ce dernier n’était pas réelle et effective en ce que cette liberté ne peut s’opérer qu’avec un accord préalable de la banque avant chaque prélèvement – ce qui, en pratique, n’est pas forcément le cas, même si le contrat le prévoit. Par ailleurs, la Cour prend également argument du fait que l’indemnité de remploi, en en cas de remboursement anticipé total ou partiel, soit calculée de manière identique en cas de renonciation au crédit, de non-prélèvement ou de prélèvement partiel.
Le raisonnement de la Cour peut paraître surprenant : l’indemnité de remploi ayant vocation à indemniser la différence entre les intérêts escomptés et le replacement des fonds retournés à la banque sur le marché interbancaire, il est cohérent qu’elle se calcule de manière identique dans tous les cas de figure cités par la Cour. Pour ce qui est de l’indemnité de remploi calculée sur les montants non-prélevés, celle-ci sera cependant – théoriquement – bien inférieure à celle calculée lors d’un remboursement anticipé plusieurs années plus tard, à moins qu’une chute soudaine des taux d’intérêts ne survienne sur le marché entre le moment de la conclusion du crédit et la fin de la période de prélèvement convenue. La stipulation d’une indemnité pour non-prélèvement du crédit – généralement minime – semble ne pas être à ce point contraignante pour le crédité, dès lors que la banque est contrainte de réserver des fonds – et à payer cette réservation sur le marché interbancaire – que le crédit pourrait in fine ne pas utiliser.
La Cour invoque également comme restrictive de la liberté du crédité la soumission des différents prélèvements à la remise de justificatifs démontrant que ces prélèvements seront bel et bien affectés à l’objet du crédit. Or, il revient au banquier de faire preuve de prudence et de s’assurer que les fonds qu’il met à disposition de l’emprunteur seront utilisés à des fins licites et utiles : que penser du banquier qui, sans le savoir, prêterait son concours à une opération de financement d’une activité terroriste, ou bénéficierait d’une hypothèque sur un immeuble à construire qui se révèle, au final, ne pas être construit ?[30]
Dans une autre affaire[31], la Cour d’appel de Liège – où siégeait l’un des conseillers ayant statué sur l’affaire précédemment évoquée – a analysé un contrat de crédit d’investissement ayant pour but de financer la construction d’un appartement dans un immeuble également à construire sur un terrain nu. La période de prélèvement était de 9 mois, les prélèvements intervenant à plus d’une dizaine de reprises, en ce compris au-delà de la période de prélèvement contractuellement convenue.
Il semblait clair que le crédité avait sciemment choisi de conclure avec la banque un contrat de crédit : ce faisant, l’emprunteur ne commençait à payer les mensualités prévues qu’à la fin de la construction de l’immeuble – dès productivité économique de celui-ci –, mais ne supportait également les intérêts que sur les montants effectivement prélevés. S’il avait au contraire opté pour un contrat de prêt, l’emprunteur aurait dû, d’une part, immédiatement supporter l’entièreté des intérêts sur le montant prêté, alors même qu’une partie de ces fonds seraient demeurés en compte, en attente d’être payés à l’entrepreneur en charge des travaux. D’autre part, en concluant un contrat de prêt, l’emprunteur aurait également dû immédiatement débuter le remboursement des tranches de capital au bénéfice de la banque, et alors même que l’immeuble à construire n’aurait pas encore généré de revenus locatifs permettant… d’assumer ces mensualités.
Nonobstant la volonté initiale des parties et répétant le point de vue théorique exposé ci-avant, la Cour tirera argument du fait que la période de prélèvement du crédit était limitée dans le temps, nonobstant la prolongation tacite par les parties de ladite période, et de l’existence d’une commission de réservation, pour conclure à l’inexistence d’une liberté de prélèvement.
Pour terminer, notons la conclusion identique d’un troisième arrêt rendu par la Cour d’appel[32] – le siège était composé de la même manière que lors de la première des affaires ici examinées -, dans le cadre d’un crédit d’investissement destiné à financer des travaux d’agrandissement d’une maison de repos. Le crédit sera prélevé sur 1 an et 11 mois, sur présentation de certaines factures attestant de l’avancement des travaux.
Ici encore, la Cour estimera que l’ouverture de crédit est typiquement « celle qui se réalise par la voie d’un découvert en compte à vue ou inhérente à l’utilisation d’une carte de crédit. Elle est très souvent revolving en ce sens que si les montants prélevés ont été apurés, ils peuvent être utilisés à nouveau par le crédité sans qu’il soit besoin d’un nouvel accord du créditeur (…) ». En réalité, en filigrane, la Cour restreint la définition de l’ouverture de crédit, en ne cantonnant celle-ci qu’à la variété de crédit qu’est le crédit de caisse.
L’on remarquera que, confrontée à la créativité de l’emprunteur dans ses arguments, la Cour reconnaîtra cette fois – sans aller plus loin – le principe selon lequel en cas de remboursement anticipé, la banque souffre d’un manque à gagner, cette dernière ne pouvant pas bénéficier des intérêts escomptés durant toute la durée du crédit[33].
Elle reconnaîtra également que les parties sont libres de convenir que le remboursement anticipé d’un contrat de crédit n’est pas autorisé, puisque l’article 1187 du Code civil ne l’interdit pas en toutes hypothèses[34], mais également que le principe du nominalisme monétaire tel que traduit à l’article 1895 du Code civil en matière de prêt à intérêts n’est ni d’ordre public ni impératif, permettant aux parties de se prémunir contre les risques de fluctuations monétaires par des clauses particulières.
De même, la proposition de la banque de soumettre le remboursement anticipé au paiement d’une indemnité de rupture ne s’assimile pas à une clause pénale, dès lors qu’elle n’en rencontre pas les caractéristiques : il ne s’agit en effet pas d’une compensation forfaitaire pour un dommage éventuellement subi en cas de non-exécution d’une obligation, et elle n’a pas été stipulée dans le contrat conclu.
Remarquons que si nous nous interrogeons sur la motivation sous-tendant les arrêts rendus par la cour d’appel de Liège en 2019 ici analysés, la position de la cour sur le sujet ne semble toutefois pas immuable. Dans un arrêt du 9 mars 2018[35], la cour – autrement composée – avait refusé de requalifier un contrat de crédit d’investissement présentant des caractéristiques similaires à celles des contrats analysés en 2019, mais destiné à refinancer une dette préexistante. A cette occasion, la cour avait confirmé que « s’il est exact que le prélèvement du crédit d’investissement a eu lieu en une fois, il ne s’agit pas là d’un critère déterminant pour donner au contrat le caractère de prêt. Le créditeur disposait de la liberté de prélever ou non, immédiatement ou non, intégralement ou non les montants mis à disposition ».
Le contentieux de la funding loss à Anvers
Le tribunal de l’entreprise d’Anvers[36] a analysé un contrat d’investissement visant à l’achat d’un usufruit sur un immeuble et l’exécution de travaux pour la construction d’un rez-de-chaussée commercial. Une première tranche du crédit avait été utilisée à concurrence de 125.000,00 EUR pour l’achat du droit réel, le solde pouvant également être prélevé en tranches d’un minimum de 25.000,00 EUR.
Le tribunal distinguera les différentes utilisations du crédit consenti : il considérera que la première tranche de 125.000,00 EUR, destinée à l’achat de l’usufruit, est un prêt à intérêt, la liberté contractuelle – utilisation uniquement possible à la date de l’acte – étant inexistante. Pour ce qui concerne les autres tranches du crédit, le tribunal confirmera le droit de la banque de réclamer une indemnité de remploi.
Une décision « hybride » qui pourrait s’appliquer par analogie à de nombreux autres cas.
La Cour d’appel d’Anvers[37] s’est penchée sur l’indemnité réclamée par la banque dans un crédit d’investissement à durée déterminée d’un montant de 200.000,00 EUR visant à l’achat partiel de 98 % de la pleine propriété d’une villa. La période de prélèvement convenue était de 3 semaines, et le crédit était libérable uniquement moyennant la production d’une copie du compromis de vente du bien immobilier financé par la banque. Les autres clauses généralement rencontrées dans un contrat de crédit de ce type étaient également reprises.
La Cour indique ne pas être liée par la qualification choisie par les parties si les éléments du contrat qui lui est soumis sont incompatibles avec ladite qualification. La Cour souligne également un rapport inégal entre parties, considérant l’emprunteur – pourtant une entreprise par sa forme – comme une « partie faible » au contrat.
Pour la Cour, les circonstances de l’espèce et le contenu du contrat ne rencontrent pas les caractéristiques du contrat de crédit d’investissement. En effet, l’objectif du contrat conclu entre les parties était de prélever l’entièreté du montant du crédit, en une seule fois, dans un temps très court et dans un seul et unique but d’acquisition immobilière[38].
La Cour donne ensuite sa définition de la liberté de prélèvement, en estimant qu’il s’agit de la liberté, pour l’emprunteur, et dans les limites établies par le contrat conclu, de choisir le montant qu’il prélève, le moment où il le prélève, et le but du prélèvement[39]. La Cour précise ensuite que les contrats de crédit ne se limitent pas aux seuls crédits de caisse et ouvertures de crédit, et qu’un contrat de crédit – sans qu’il ne soit sujet à requalification en prêt – peut tout de même encadrer la liberté de l’emprunteur, celle-ci n’étant pas nécessairement absolue. Ainsi, une limitation de la période de prélèvement est possible, et la précision d’un but spécifique ou l’existence d’une indemnité pour non-prélèvement total ou partiel du crédit ne font pas obstacle à la liberté de prélèvement. En réalité, la liberté de l’emprunteur disparait lorsque in concreto, les clauses invoquées à l’appui de celle-ci revêtent un caractère fictif.
Pour expliquer la requalification en prêt malgré l’intervalle de temps constaté entre la conclusion du contrat de crédit et la remise effective des fonds à l’emprunteur, la Cour valide la construction juridique selon laquelle le contrat de crédit, à la signature, était en réalité une promesse de prêt, la remise des fonds ne constituant que l’exécution de cette promesse. Il est vrai que dans la pratique actuelle, si la remise des fonds devait concorder avec la signature du contrat entre la banque et son client, le contrat de prêt tomberait en désuétude.
L’on notera pour terminer que la Cour prend soin de préciser qu’elle ne nie pas l’existence d’une rupture de l’équilibre entre la banque et son client, causée par le remboursement anticipé d’un crédit, tout comme elle reconnaît l’existence du préjudice effectivement souffert par la banque. Elle conclut cependant que l’article 1907bis, en dépit du préjudice subi, s’impose de manière impérative, et que face à un prêt à intérêt, elle n’a pas d’autre choix que celui de conclure à la limitation de l’indemnité de remploi réclamée par la banque.
Contentieux de la funding loss à Bruxelles Bruxelles : une décision « hybride »
Un crédit d’investissement avait été consenti par la banque en vue de permettre à l’emprunteur d’acquérir un pourcentage déterminé d’un appartement situé à Bruxelles. Les fonds avaient fait l’objet d’un prélèvement unique, sous forme de chèque bancaire. Un second crédit d’investissement avait été consenti par la suite, destiné au financement partiel de la construction d’une villa. Les fonds avaient, cette fois, fait l’objet de neuf prélèvements.
Saisi d’une demande de requalification des deux contrats, le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles[40] a estimé que le premier crédit devait être qualifié en un contrat de prêt, au égard au bref délai de prélèvement stipulé – 2 mois -, à l’affectation exclusive des fonds à une seule opération d’acquisition dont le montant avait par ailleurs déterminé le montant du crédit octroyé, à la vocation des fonds à être prélevés en une seule fois, et au fait que la banque était de par ce fait, dès la conclusion du contrat, en mesure de déterminer le revenu qu’elle tirerait du crédit.
Pour le second crédit, le tribunal estimera qu’il ne peut être requalifié, estimant qu’au vu des caractéristiques du contrat reprises ci-avant, le montant du crédit constituait plutôt un maximum à ne pas dépasser, et s’analysait bien comme une ouverture de crédit. Le tribunal rejettera le grief fait à la banque d’avoir abusé de son droit et d’avoir manqué à son devoir d’information.
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