Dans nos articles consacrés au Règlement SFDR (Règlement 2019/2088) et au Règlement Taxonomie (Règlement 2020/852), nous avons rappelé que l’un des objectifs du législateur européen lors de l’adoption du cadre réglementaire encadrant la finance durable visait à accroître la transparence afin d’éviter le « greenwashing ».
Qu’est-ce que le “greenwashing”?
Le greenwashing, ou écoblanchiment, est défini comme l’utilisation fallacieuse d’arguments faisant état de bonnes pratiques écologiques dans des opérations de marketing ou de communication[1].
Selon le Règlement Taxonomie, il s’agit de la pratique qui consiste à commercialiser un produit financier comme étant respectueux de l’environnement afin d’obtenir un avantage concurrentiel indu alors qu’en réalité, les normes environnementales de base n’ont pas été respectées[2].
Il s’agit donc de transmettre au public des informations qui sont – dans le fond et/ou dans leur forme – une présentation déformée des faits et de la vérité, dans le but d’apparaître socialement et/ou environnementalement responsable.
En pratique, le greenwashing prend différentes formes : une représentation erronée du côté « vert » d’un produit ou d’un service, une vente trompeuse, un prix surfait ou un label vert non mérité.
Un sujet d’actualité
La prise de conscience environnementale a fait naître un intérêt grandissant pour la finance durable et les investissements responsables.
Dans un article du 6 juin dernier, le Financial Times mettait en évidence cette tendance en soulignant que l’investissement dans un cadre ESG[3] est le segment de l’industrie de la gestion d’actifs qui connaît la croissance la plus rapide, compte tenu de la demande croissante des investisseurs. Les actifs des fonds ESG ont augmenté de 53% pour atteindre 2,7 milliards de dollars en 2021[4].
Toutefois, le greenwashing qui accompagne cette tendance apparaît comme une menace importante pour adresser le changement climatique.
L’actualité de ces derniers jours met en lumière cette menace et la nécessité d’y répondre :
- Ce 2 juin, la presse relatait que le patron de DWS, un important gestionnaire d’actifs, avait démissionné après des perquisitions, dans le cadre d’une enquête sur soupçons de greenwashing. Celui-ci est suspecté d’avoir publié des informations trompeuses sur le caractère durable de produits financiers « vendus comme plus “verts” et “durables” qu’ils ne l’étaient en réalité », a indiqué le parquet de la ville de Francfort où se sont déroulées les perquisitions.
- Quelques jours plus tôt, la Securities and Exchange Commission aux Etats-Unis avait accusé BNY Mellon Investment Adviser, Inc. d’inexactitudes et d’omissions concernant les considérations environnementales, sociales et de gouvernance lors de la prise de décisions d’investissement pour certains fonds communs de placement qu’elle gérait. Pour régler les charges, BNY Mellon Investment Adviser avait accepté de payer une pénalité de 1,5 million de dollars.
La réponse des régulateurs
Ces évènements mettent en lumière la nécessité de s’attaquer à la problématique du greenwashing.
Bien que le Règlement SFDR et le Règlement Taxonomie ont pour objectif immédiat ou médiat de répondre au risque d’écoblanchiment, les règles édictées ne sont pas, à ce stade, à la hauteur de l’enjeu. Les régulateurs semblent avoir pris la mesure de la problématique. Voici trois exemples :
- Le 10 février 2022, dans sa feuille de route qu’elle propose pour 2022-2024, l’ESMA aborde la problématique du greenwashing.
Après l’avoir défini, l’ESMA indique que les causes du greenwashing peuvent être liées à de multiples aspects du fonctionnement de la chaîne d’investissement, affectant parfois des étapes de cette chaîne bien avant qu’un produit financier n’atteigne un investisseur. C’est le cas, par exemple, des informations communiquées par les émetteurs concernant le profil réel de durabilité d’une entité cotée ou la mauvaise qualité des données dont dispose un fonds d’investissement sur les entreprises.
Selon l’ESMA, l’arbitrage réglementaire lié à l’évolution rapide du cadre législatif aggrave les risques d’écoblanchiment pour les investisseurs, de même que les applications divergentes des règles sur ce qui constitue un produit vert au sein l’Union. Cela entraîne inévitablement des problèmes de protection des investisseurs tels que le manque de comparabilité, de transparence et même de vente abusive.
L’ESMA plaide pour que les régulateurs nationaux jouent un rôle clé dans le contrôle du respect de la réglementation sur la finance durable et veillent à ce que les investisseurs et les consommateurs soient protégés contre les allégations de durabilité non-fondées.
Pour permettre une supervision au niveau national harmonisée et permettre aux autorités nationales d’échanger leur savoir sur une base commune, l’ESMA invite à une convergence vers une compréhension commune des concepts ESG. L’ESMA souhaite également augmenter les capacités des autorités nationales dans la finance durable par échange d’expérience.
- Le 23 mai, la BCE publiait un premier extrait de son rapport de stabilité financière.
Ce rapport se penche notamment sur les risques climatiques. Dans la partie de ce rapport intitulée « Climate-related risks to financial stability », la BCE y met en garde contre ce qui est perçu comme une menace.
La BCE souligne qu’il existe des preuves encourageantes d’une meilleure transparence des sociétés non-financières et d’une prise de conscience croissante des risques liés au climat sur les marchés financiers. La BCE considère toutefois que les progrès réalisés par les banques ont été plus limités. Les données les plus récentes ne montrent, selon la BCE, aucune preuve claire d’une réduction des risques liés au climat.
La BCE indique par ailleurs que le risque d’écoblanchiment est élevé compte tenu de l’absence d’exigences mondiales en matière de publication obligatoire. En outre, bien qu’il y ait eu une amélioration dans la communication et les publications liées au climat émises par les banques européennes depuis 2020, celles-ci ne répondent pas pleinement aux attentes prudentielles et des lacunes subsistent, notamment en ce qui concerne les objectifs de réduction des émissions des banques[5].
La BCE signale que le greenwashing présente un risque pour la stabilité financière car il pourrait conduire à une sous-évaluation du risque de transition et à de potentielles ventes au rabais (« fire-sales ») d’obligations vertes.
En outre, la BCE pointe, à juste titre que la classification divergente des fonds ESG par les fournisseurs de données (Bloomberg, Lipper et Morningstar) indique des risques de greenwashing dans le secteur.
A cet égard, il est symptomatique que le niveau de désaccord entre ces classifications est important : les trois principaux fournisseurs de données s’accordent dans moins de 20 % des cas sur le fait qu’un fonds est ESG (c’est-à-dire 317 fonds sur plus de 1.800 fonds qui sont définis comme ESG par au moins un fournisseur de données).

Selon la BCE, en l’absence d’un label ESG et d’une définition commune des fonds ESG et environnementaux, les investisseurs s’appuient sur les informations transmises par les gestionnaires d’actifs et les classifications des fournisseurs de données.
Dans ce contexte, la BCE estime que des labels clairs pourraient réduire sensiblement le risque d’écoblanchiment.
Au regard de ce qui précède, la BCE conclut que le risque d’écoblanchiment demeure une préoccupation et pourrait augmenter rapidement – à la fois sur le marché des obligations vertes et dans le secteur des fonds d’investissement – étant donné l’absence de normes bien conçues et cohérentes pour les instruments financiers durables.
Les expositions des institutions financières aux risques de transition ne montrent, selon la BCE, aucune preuve claire que les institutions financières connaissent une réduction significative du risque. En outre, la concentration des expositions, la corrélation des risques croisés et le chevauchement des portefeuilles des institutions agissent comme des amplificateurs de ces risques.
- Le 31 mai, l’ESMA, à nouveau, publiait un « Supervisory briefing », afin d’assurer la convergence au sein de l’Union européenne dans la surveillance des fonds d’investissement présentant des caractéristiques de durabilité et dans la lutte contre l’écoblanchiment par les fonds d’investissement.
L’ESMA est d’avis que, parallèlement aux règlements européens, il y a un besoin important de promouvoir la convergence prudentielle, afin d’éviter que le niveaux de protection des investisseurs diverge en fonction du lieu de domiciliation des fonds commercialisés sur une base transfrontalière.
L’ESMA plaide ainsi pour un renforcement de la convergence entre les régulateurs nationaux afin de développer des pratiques prudentielles communes dans le cadre de la surveillance des informations relatives au développement durable. Cette approche commune devrait, selon l’ESMA, servir à accroître la transparence pour les investisseurs et éviter la pratique du greenwashing.
Enfin, l’ESMA fournit, par le biais de ce briefing, des conseils pour améliorer la surveillance de la documentation publicitaire, précontractuelle et contractuelle des fonds d’investissement.
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L’intérêt pour la finance durable requiert incontestablement un encadrement légal et réglementaire clair et pragmatique. Ceci nécessite plus que jamais une réponse adéquate et coordonnée des régulateurs. Il conviendra d’y être attentif.
Contactez-nous pour obtenir des informations sur ce qui précède et plus généralement, sur l’ensemble de la réglementation relative à la finance durable.
[1] Dictionnaire Le Larousse, consulté en ligne le 6 juin 2022.
[2] Considérant 11.
[3] Environnement, Social et Gouvernance : cet acronyme se rapporte aux trois principaux facteurs permettant d’évaluer le caractère durable d’un investissement.
[4] Le Financial Times cite le fournisseur de données Morningstar.
[5] Supervisory assessment of institutions’ climate-related and environmental risks disclosures (europa.eu)
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