Swaps de taux d’intérêt et autres contrats d’échange (IRS) : une opportunité face à une remontée des taux d’intérêt ?

Les swaps de taux d’intérêt (IRS pour Interest Rate Swap) sont des produits dérivés dit “de couverture”, qui peuvent représenter l’opportunité de déterminer et fixer des coûts futurs sur un contrat de crédit, dans un contexte de hausse des taux d’intérêt.

Les IRS peuvent aussi s’avérer être un instrument spéculatif dangereux.

Nous vous proposons une brève analyse de leur fonctionnement et caractéristiques et des enjeux qu’ils représentent.

1.     Qu’est-ce qu’un swap de taux d’intérêt – IRS ?

Fonctionnement du contrat d’échange de taux

La conclusion d’un contrat d’échange de taux d’intérêts (Interest Rate Swap) permet aux entreprises de se prémunir contre l’aléa que représentent les variations (augmentations) de taux d’intérêts[1].

Ce contrat est désigné en anglais Interest Rate Swap (IRS). Suivant cette acception, un swap (de l’anglais « to swap » : échanger) est un accord entre deux parties pour échanger dans le futur leurs conditions d’accès au marché monétaire ou financier, c’est-à-dire les conditions d’emprunt ou de placement. Cette opération est – potentiellement – avantageuse pour l’une et pour l’autre partie qui définissent elles-mêmes les dates auxquelles les cash-flows seront échangés et la manière dont ils seront calculés.

Le taux d’intérêt variable, auquel les parties se réfèrent est généralement un taux d’intérêt interbancaire, tel que l’EURIBOR (« Euro Interbank Offered Rate »), à court terme. Ce mécanisme peut être illustré par l’exemple suivant[2] :

  • A s’engage à verser à B un taux d’intérêt fixe (par exemple 2 %), pendant une certaine durée (par exemple dix ans) ;
  • B s’engage à verser à A un taux d’intérêt variable (par exemple le taux EURIBOR trois mois), pendant la même période (dans cet exemple, dix ans – source du graphique : Wikipedia).

Les flux financiers sont calculés sur un montant notionnel convenu entre les parties.

Cette figure d’IRS peut être assortie d’une série de modalités, susceptibles de rendre l’IRS relativement complexe (Callable option, Caps, Floors, Tunnels, Twins, etc.).

Instrument de couverture contre les variations de taux, ou instrument spéculatif ?

Selon le cas, un swap peut constituer un instrument de couverture ou un instrument spéculatif[3].

En effet, deux types d’opérations de couverture peuvent être distinguées:

  • d’une part, la couverture d’un flux de trésorerie qui transforme un flux d’intérêts variables en un flux d’intérêts fixes;
  • et d’autre part, la couverture de la valeur d’un placement de trésorerie qui transforme un flux d’intérêts fixes en un flux d’intérêts variables.

Dans les deux cas, la couverture suppose inévitablement la préexistence d’un risque sous-jacent dans le chef d’une des deux parties qu’il convient de tempérer, qu’il s’agisse d’un contrat de crédit ou d’un placement. Par exemple, le swap permet à une entreprise de gérer de manière optimale le niveau de son endettement. Celle-ci peut se couvrir contre le risque de taux, que ce soit celui d’une hausse des taux en passant d’un taux variable à un taux fixe ou celui d’une baisse des taux en effectuant la démarche inverse (…). Lorsque le swap est utilisé comme instrument spéculatif, la position qui y est prise au travers l’est pour elle-même, sans la moindre considération pour toute autre relation juridique ou économique ».

Les Swaps de taux d’intérêts régulés suite à la chute des taux d’intérêt

Au sortir de la crise de 2007-2008, ces produits ont été vilipendés car ils auraient contribué à l’aggravation de la situation financière de certaines entreprises, voire certaines entités publiques. En effet, les entreprises se sont souvent protégées contre la hausse des taux d’intérêts, mais pas contre leur diminution.

Avec la chute des taux intervenue en 2007-2008, plusieurs de ces entreprises ont été confrontées à de lourdes pertes. Dans son rapport publié le 19 mai 2015 et intitulé Dérivés de taux d’intérêts en couverture de crédit à taux variable accordés aux PME, la FSMA a considéré que différents établissements n’avaient pas été en mesure de démontrer s’être assurés que leurs clients avaient compris les caractéristiques des swaps de taux d’intérêts et qu’ils n’avaient pas mesuré leur impact potentiel dans un contexte de baisse de taux et que ces contrats n’étaient pas adaptés aux besoins du client. La FSMA a exigé un couplage entre IRS et crédits pour tous les clients de détail au sens de MiFID.

De manière générale, les litiges relatifs aux IRS portent sur le respect de la réglementation MiFID dès lors que les swaps sont des instruments financiers au sens de l’article 2, 1° d) de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers qui précise qu’il faut entendre par instruments financiers, « les contrats d’option, contrats à terme ferme (futures), contrats d’échange, accords de taux futurs et tous autres contrats dérivés relatifs à des valeurs mobilières, des monnaies, des taux d’intérêt (…) »[5].

D’autres litiges portent sur la dette des collectivités locales, particulièrement en France, qui se sont vu proposer des instruments de couverture dans le cadre de la gestion de leur dette. Les décisions rendues dans ce contexte portent sur le principe de spécialité des missions et pouvoirs des collectivités.

2.     Application : deux décisions judiciaires récentes en matière d’IRS

2.1. IRS spéculatif et violation du principe de spécialité légale : une condamnation à plus de 70 millions d’EUR

Une décision rendue par la Cour d’appel de Liège[7] après cassation[8] analyse une convention de swap adossée à un crédit, conclue entre la Société Wallonne du Logement et une entreprise financière. La Cour d’appel de Mons avait dans un premier temps jugé que l’entreprise financière avait manqué à son obligation d’information et avait, de ce fait, induit une erreur dans le chef de la Société Wallonne du Logement qui conduit à la nullité de la convention de swap.

Dans le cadre de la procédure devant la Cour d’appel de Liège, la Société Wallonne du Logement soutenait que la convention de swap avait pour objet un swap spéculatif et qu’elle était dès lors nulle en raison de la violation du principe de spécialité légale et organique de la Société Wallonne du Logement.

La Cour rappelle les caractéristiques des IRS et la distinction entre le swap instrument de couverture, adossé à un crédit, et le swap spéculatif, par lequel les parties spéculent sur la variation des taux d’intérêts échangés, comme elles le feraient pour un autre produit financier dérivé. En règle, un swap spéculatif n’est pas adossé à un crédit puisque le but de l’acquéreur de ce produit n’est pas de protéger contre le risque de variation du taux de l’emprunt. La Cour indique toutefois que tout swap adossé à un crédit ne pourrait être qu’un instrument de couverture et non un swap spéculatif lorsqu’il y a une erreur dans le chef de l’acquéreur sur la nature du swap. Lorsque le risque inhérent au swap est contenu grâce à des limites prédéfinies convenues par les parties, il n’y a pas de caractère spéculatif.

En l’espèce, la Cour indique que l’intention de la Société Wallonne du Logement était d’obtenir un instrument de couverture visant à lui permettre de payer un intérêt plafonné à 6,50 %. Or, la convention de swap, bien qu’adossée à un crédit, n’avait pas les caractéristiques de ce type de produit dès lors que la formule fixant le taux d’intérêt ne comportait aucun plafond, le taux d’intérêt atteint lors d’une des échéances étant définitivement dû jusqu’à l’échéance du contrat, même si le taux diminue ultérieurement et que le taux dû pour une échéance s’additionne au taux dû pour l’échéance suivant (effet cumulatif dit « snow ball »). Selon la Cour, il ne s’agissait dès lors pas d’un instrument de couverture[9].

Enfin, la Cour analyse le principe de la spécialité légale et organique de la Société Wallonne du Logement en vertu duquel les personnes morales de droit public n’existent et n’agissent que dans les limites du but que la loi leur assigne. Les missions de la Société Wallonne du Logement, définies dans le Code du logement, ne lui permettent pas, selon la Cour, d’utiliser ses fonds pour réaliser des opérations spéculatives dès lors qu’elles ne font pas partie des missions que le Code lui a confiées. La conclusion du contrat de swap méconnaît ainsi le principe de spécialité légale de la Société Wallonne du Logement. La convention est par conséquent nulle en telle sorte que les parties doivent être rétablies dans la situation qui était la leur avant la conclusion de la convention.

2.2. Manquement à l’obligation de la banque de recueillir des informations relatives à l’objectif d’investissement du client

Dans un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles qui sera commenté prochainement ici, la cour a estimé qu’une banque n’avait pas recueilli, préalablement à un conseil en investissement prodigué et portant sur des contrats de swaps de taux d’intérêt, des informations relativement à leurs objectifs d’investissement, leur capacité de faire face aux risques ainsi que leur niveau d’expérience et de connaissance quant au type d’instrument financier proposé.

L’article 27 § 4 de la loi du 2 août 2002 était donc violé, faute de test d’adéquation, le questionnaire de « profil client » n’étant d’ailleurs soumis que postérieurement à la conclusion des contrats litigieux. De surcroît, la cour a estimé que les contrats de swaps analysés n’étaient pas adéquats dans un contexte de marchés incertains, d’engagement sur le long terme sans correspondance avec des crédits d’une durée et de montants notionnels similaires à ceux-ci.

Par conséquent, à titre de réparation du dommage subi par les clients, la cour a condamné la banque à rembourser à ces derniers les montants payés en exécution des conventions de swap litigieuses.


[1] Des contrats de Swap peuvent également être destinés à couvrir d’autres variables économiques telles que les taux de change, l’inflation, ou le risque de défaut de crédit. Il en existe une multitude sur les marchés financiers.

[8] L’arrêt rendu par la Cour de cassation est également intéressant, bien que rendu sous l’égide de la loi du 6 avril 1995 relative aux marchés secondaires, au statut des entreprises d’investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placement. La Cour a en effet jugé que l’étendue du devoir d’information de l’intermédiaire financier relativement à une opération sur instruments financiers s’apprécie en fonction du degré de connaissance professionnelle du client auquel l’information est destinée. En conséquence, la Cour de cassation cassant l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Mons a énoncé que « l’arrêt (…) considère que, même si la défenderesse n’est pas un professionnel de la finance, elle ne peut être considérée comme un client profane (…) l’arrêt n’a pu légalement considérer que les éléments qui précèdent limitaient l’obligation d’information à charge de [la demanderesse] sans la dispenser toutefois de révéler les risques encourus [en raison du mécanisme du SWAP (…)] (…) ».

[9] La Cour cite, pour asseoir son interprétation, des décisions rendues par des juridictions françaises et la Cour de cassation française ainsi qu’une « Charte de bonne conduite entre les établissements bancaires et les collectivités locales » destinée à éliminer les risques excessifs que le recours aux swaps peut comporter en vertu de laquelle « les établissements bancaires s’engagent à ne plus proposer de produits avec effets structurés cumulatifs ».

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par Anders Noren.

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