Poursuite d’une gestion discrétionnaire après décès : risque ou nécessité ?

Un client décède après avoir confié à sa banque un mandat de gestion discrétionnaire de portefeuille. La banque doit-elle immédiatement liquider le portefeuille en gestion ? Peut-elle poursuivre la gestion discrétionnaire après décès ? Quels risques la banque encourt-elle à l’égard des héritiers si elle poursuit la gestion ou si, au contraire, elle ne pose plus un seul acte sur le portefeuille confié en gestion ?

Le principe : la gestion discrétionnaire de portefeuille est un mandat qui s’éteint par le décès

Le contrat de gestion discrétionnaire emporte mandat conféré par le client au gestionnaire et un louage d’ouvrage[1]. L’ensemble des contrats liés à la gestion discrétionnaire possèdent un caractère intuitu personae[2] qui a pour corollaire leur extinction, en principe, par le décès du mandant.

Article 2003 du Code civil :

« Le mandat finit : par la révocation du mandataire, par la renonciation de celui-ci au mandat, par la mort ou la déconfiture, soit du mandant, soit du mandataire ».

Le code civil pose donc pour principe l’interdiction de l’accomplissement d’actes juridiques par le mandataire postérieurement au décès du mandat, à moins que le mandataire n’ait ignoré ledit décès[3], et à moins que ces actes ne soient postérieurement ratifiés par les héritiers du défunt.

Ces principes valent également, pour certains auteurs, pour le contrat de gestion discrétionnaire de portefeuille[4].

Une clause contractuelle contraire peut exister, mais quid du principe de la dévolution successorale ?

Le mandat est fondé sur l’intention présumée des parties. Les clauses contractuelles contraires à l’article 2003 sont, en vertu de ce qui précède, licites et les parties peuvent convenir de la survie du mandat, nonobstant la survenance du décès[5]. De telles clauses peuvent être expresses ou tacites[6] et, en matière de gestion discrétionnaire de portefeuille, sont validées par la doctrine dans leur principe[7].

Il convient toutefois de tempérer ce qui précède par le fait que les règles de la dévolution successorale veulent qu’indépendamment des contrats, les biens du mandant sont transmis, dès le décès de celui-ci, aux héritiers, de sorte que le mandataire agit dès lors non plus sur les biens du défunt, mais bien de ceux des héritiers de celui-ci.

Certains pourraient dès lors voir, dans une clause permettant la poursuite de la gestion discrétionnaire après décès, un mandat post-mortem contraire à la règle d’ordre public de la saisine par les héritiers des biens du défunt. Il n’est, en effet, pas possible que le mandat enlève à ses héritiers le droit de libre disposition des biens qui feront l’objet de sa succession par un mandat dont l’exécution ne commencera qu’après sa mort. La question est controversée en doctrine[8].

La poursuite d’une activité de gestion post-mortem en vertu d’une dérogation à l’article 2003 du Code civil comporte dès lors un risque dans le chef du gestionnaire.

Quels risques en cas d’absence de clause ad hoc permettant la poursuite du mandat ?

  • Si le gestionnaire ne poursuit pas la gestion discrétionnaire après décès : responsabilité ?

L’article 1991 du Code civil prévoit que :

« Le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution. Il est tenu de même d’achever la chose commencée au décès du mandant, s’il y a péril en la demeure ».

Certaines décisions de jurisprudence ont été rendues, en matière de gestion discrétionnaire, dans le sens de l’article 1991 : le mandataire est tenu de poursuivre les affaires courantes si la cessation de sa mission risque d’engendrer un préjudice pour les ayants droit du mandant[9].

Par ailleurs, une volonté tacite de poursuivre le mandat au-delà du décès du mandataire pourrait être invoquée par les héritiers et se déduire de l’objet même du mandat. Cette volonté tacite pourrait découler d’un contrat synallagmatique tel que l’est le contrat-cadre de gestion discrétionnaire dont l’objet est la gestion et la fructification (prudente ou agressive) d’un portefeuille de valeurs mobilières.

Il demeure cependant que les clauses contractuelles permettant au gestionnaire de mettre fin à la gestion[10] peuvent être appliquées.

  • Si le gestionnaire poursuit la gestion discrétionnaire après décès : la gestion d’affaires au secours du banquier ?

Le gestionnaire risque de se voir reprocher l’accomplissement d’actes de gestion nonobstant l’extinction du mandat, et de voir sa responsabilité extracontractuelle recherchée en cas de perte de valeur du portefeuille confié en gestion (sur cette question, voyez également ici).

Ainsi, les héritiers pourraient invoquer qu’en application de l’article 1991 du Code civil précité, il n’y avait pas « péril en la demeure », et que la poursuite de la gestion devait se limiter à ce qui est strictement indispensable.

Sur le plan pratique, la poursuite d’actes de gestion pourrait poser quelques problèmes préjudiciables : qui informer de l’exécution des ordres lorsque la succession est complexe, internationale ou inconnue ? Quid en cas de renonciation à la succession ? A charge de qui sont les éventuelles obligations de couverture, les commissions et frais ? Comment apprécier le profil de gestion en cas de désaccord des ayants-droits ?

Si ces arguments viennent à être soulevés à l’occasion d’un litige, notons que l’application des règles du Code civil relatives à la gestion d’affaires, institution juridique qui se rapproche du mandat, pourrait offrir des arguments favorables au gestionnaire.

En vertu des articles 1372 à 1375 du Code civil, « lorsque volontairement on gère l’affaire d’autrui, soit que le propriétaire connaisse la gestion, soit qu’il l’ignore, celui qui gère contracte l’engagement tacite de continuer la gestion qu’il a commencée, et de l’achever jusqu’à ce que le propriétaire soit en état d’y pourvoir lui-même; il doit se charger également de toutes les dépendances de cette même affaire. Il se soumet à toutes les obligations qui résulteraient d’un mandat exprès que lui aurait donné le propriétaire ».

Le gestionnaire, au sens des articles analysés, est « obligé de continuer sa gestion, encore que le maître vienne à mourir avant que l’affaire soit consommée, jusqu’à ce que l’héritier ait pu en prendre la direction ».

La gestion doit s’opérer « en bon père de famille », et le gestionnaire a droit à une juste et adéquate compensation en retour de ses actes de gestion.

En pratique…

Certaines clauses du contrat de gestion ou du Règlement Général des Opérations (RGO) des banques permettent à cette dernière de se dispenser d’accomplir tout acte de gestion postérieur au décès. Il est cependant prudent que ces clauses soient rédigées de manière explicite en mentionnant le cas du décès comme cause de résiliation du mandat, et en indiquant le sort réservé ou non, dans un tel cas, au portefeuille en gestion.

Les contrat de gestion prévoient systématiquement la possibilité pour la banque de résilier celui-ci, moyennant préavis. En pratique, cette résiliation peut poser problème : à qui adresser la lettre de résiliation si les héritiers ne sont pas connus ? Comment concilier l’accusé de réception avec le décès du destinataire de la lettre ?

Importance du contrat conclu et des clauses stipulées dans le contrat de gestion

  • Nécessité d’existence d’une clause ad hoc

Systématiquement, une clause devrait figurer dans les contrats de gestion discrétionnaire, régissant le sort de la gestion en cas de décès du client : soit la gestion cesse immédiatement lors du décès (option qui nous paraît préférable, encore faille-t-il réserver un sort aux titres en gestion), soit elle se poursuit, que ce soit sur les mêmes bases que celles contractuellement convenues, ou sur des bases plus prudentes.

Exemple de clause, pour la fin de l’activité de gestion :

« en cas de décès du titulaire, le contrat de gestion de portefeuille prend fin. Tout ordre exécuté par la banque après le décès du titulaire est valable et opposable aux ayants droits du titulaire, dans la mesure où ils sont présumés être passés dans l’ignorance du décès du titulaire ».

Exemple de clause, pour la poursuite de l’activité de gestion :

« par dérogation à l’article 2003 du Code civil, il est expressément convenu que le présent contrat ne prendra pas fin en cas de décès du Client (d’un des Clients en cas de pluralité de mandants). La Banque est par conséquent autorisée à poursuivre en ce cas l’exécution du contrat, et ce jusqu’à la liquidation des avoirs en gestion dépendant de la succession » ;

En néerlandais : « Bij overlijden van de Cliënt of verlies van zijn burgerlijke bekwaamheid loopt het mandaat van de Beheerder door tot een hiertoe bevoegde persoon dit schriftelijk herroept ».

Une clause « intermédiaire » peut également s’envisager pour limiter les risques liés à une baisse de valeur du portefeuille, à l’instar d’une clause déjà rencontrée dans un contrat de gestion :

« la présente convention reste valable jusqu’à révocation ou jusqu’au décès du client (…). En cas de résiliation pour quelque cause que ce soit, le Client ou ses successeurs s’obligent à donner à la société, endéans un délai d’un mois à partir de la résiliation, des instructions relatives à la liquidation ou au transfert du portefeuille. Lorsque la société n’a pas reçu les instructions appropriées, elle peut, sans y être obligée[12], gérer le portefeuille de manière défensive jusqu’à l’obtention desdites instructions ».

L’existence d’une clause ad hoc permettant la poursuite de la gestion risque cependant, comme indiqué plus haut, d’être invalidée sur base de la nullité du mandat post mortem, mais également de ne pas résoudre les différents problèmes qui pourraient apparaître en pratique : qui informer de l’exécution des ordres lorsque la succession est complexe, internationale ou inconnue ? Quid en cas de renonciation à la succession ? A charge de qui sont les éventuelles obligations de couverture, les commissions et frais ? Comment apprécier le profil de gestion en cas de désaccord des ayants-droits ?

C’est en vertu de ces difficultés et incertitudes pratiques qu’il nous paraît préférable de prévoir une clause de résiliation automatique du mandat de gestion en cas de décès, et de résilier (ou de confirmer expressément la résiliation de) la convention de gestion dès la connaissance de la survenance du décès, conformément aux dispositions contractuelles qui permettent une telle résiliation, pour autant que les modalités de résiliation soient, en pratique, possibles.

Comment agir en l’absence de clause ad hoc ?

En l’absence de clause ad hoc, qu’il accomplisse ou non des actes de gestion postérieurement au décès (connu) du client, le gestionnaire s’expose à un risque de responsabilité dans le cas d’une éventuelle baisse de la valeur du portefeuille.

Le risque paraît cependant plus élevé, dans le chef du gestionnaire, compte-tenu de la tendance consumériste actuelle et croissante en droit financier, si ce dernier s’abstient de poser des actes qui tendraient à protéger et sauvegarder le portefeuille à l’égard d’une chute soudaine des marchés.

Ce risque nous paraît cependant mitigé si le gestionnaire fait usage des clauses contractuelles lui permettant de résilier la convention de gestion de manière unilatérale.

Nous pensons qu’en cas de décès et d’absence de clause ad hoc régissant le sort de la gestion dans pareil cas, le gestionnaire se doit de résilier de manière expresse la convention de gestion discrétionnaire en application du contrat.

S’il entend poursuivre la gestion de portefeuille, celle-ci doit s’opérer sur une base prudente, jusqu’à l’obtention des instructions adéquates des héritiers à cet égard. Dans un tel cas, pour réduire encore davantage le risque lié à une gestion que des héritiers pourraient estimer encore trop imprudente, il est recommandé au gestionnaire de faire preuve de diligence en prenant soin de contacter le notaire instrumentant à la succession du défunt et de l’avertir de la poursuite de la gestion sur une base prudente jusqu’à instructions claire des héritiers.


[1] Sentence arbitrale du 29 mars 1996, R.D.C., 1996, p. 1078 et obs. J.-P. BUYLE et X. THUNIS.

[2] T. BONNEAU, Le mandat du gérant de fortune, in aspects juridiques de la gestion de fortune, Bruylant, 1999, p. 33.

[3] Article 2008 du Code civil et validité des actes posés dans l’ignorance du décès.

[4] M. STORCK, sociétés de gestion de portefeuille, Jurisclasseur, Banque Bourse Crédit, Fascicule 2210, n° 156.

[5] A noter que cette interprétation vaut dans le cas de figure où la gestion n’aurait pas encore débuté avant le décès du mandant. Le mandat post-mortem paraît passible de nullité (relative) dans la mesure où il pourrait permettre de contourner les règles de droit successoral.

[6] Notamment DE PAGE, t. V, éd. 1975, p. 456.

[7] P. WERY, La gestion de fortune au regard du droit commun du mandat, in « Bankcontracten », B. TILLEMAN, B. DU LAING ed., Die Keure, Brugge, 2004, p. 339 ; C/ PAULUS et R. BOES, v° Lastgeving, A.P.R., éd. 1978, p. 152, cité par P. WERY, Le mandat, Rép. Notarial, Bruxelles, Larcier, 2000 , p. 301.

[8] Pour la validité de la clause, voy. B. TILLEMAN, Le mandat, Kluwer, 1999, p. 408 ; a contrario, voy. F. GRUA, contrats bancaires, Tome I, Economica, 1990, p. 67 ; H. DE PAGE, traité, T.V, 2e éd., Bruylant, 1975, p. 455.

[9] Gand, 1er mars 1994, R.W., 1996-1997, p. 918.

[10] Conformément à l’article 20, §3, 2° de l’arrêté royal du 3 juin 2007 : préavis minimum de deux semaines, sans préjudice du temps nécessaire à la liquidation du portefeuille.

[12] Ce segment de phrase nous paraît critiquable, nous y reviendrons.

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par Anders Noren.

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